Au Théâtre de la Cité Internationale les 25 et 26 mai, Circusnext, unique plateforme européenne dédiée au cirque, a présenté ses 4 lauréats de l’année : la Cia Doisacordes, Alice Rende, la compagnie Palimpsesta et Édouard Peurichard. Avec leurs écritures singulières, très variées, ils forment la partie immergée d’un travail sans relâche de repérage des auteurs émergents de cirque.
Si l’on se penche sur le parcours des artistes qui comptent aujourd’hui dans le milieu du cirque, on s’aperçoit que beaucoup d’entre eux ont un point commun : ils ont été lauréats de la plateforme Circusnext. Alexander Vantournhout, la compagnie Un Loup pour l’Homme, Camille Boitel ou encore le Galaktik Ensemble sont de ces heureux élus. Ils ont bénéficié du soutien des lieux et festivals partenaires de Circusnext. Ils ont ainsi pu affirmer leur écriture en résidences et la donner à découvrir. Si pour Sabrina Abiad, directrice de la plateforme depuis un an et demie, « il est difficile de mesurer l’impact du dispositif pour ces artistes et pour bien d’autres qui ont depuis accédé à la célébrité, il est évident dans le cas de certains artistes plus récemment primés, tels que le jongleur Guillaume Martinet ou l’acrobate Inbal Ben Haïm. Pour eux, c’est certain, il y a eu un avant et un après Circusnext ».
Ces deux artistes ont en effet désormais leur place dans le cercle du nouveau cirque, que Circusnext travaille avec d’autres à rendre le plus vertueux possible, le plus ouvert aux nouvelles écritures. « Pour nos partenaires européens, aujourd’hui au nombre de 25 situés dans 15 pays différents, le critère principal de sélection est la démarche d’auteur. Il s’agit de repérer les artistes émergents de cirque qui s’engagent dans des voies non encore explorées, et de les aider dans leur démarche », explique Sabrina Abiad. Présentés les 24 et 25 mai au Théâtre de la Cité Internationale à Paris, les projets en cours de création des quatre lauréats 2023 ont comme chaque année offert au public la possibilité d’apprécier le résultat d’un travail mené à l’année par de nombreux professionnels à l’échelle de l’Europe. Ils ont aussi témoigné de la bonne santé du nouveau cirque, de sa capacité à prendre des directions diverses et inattendues.
Une sélection très contemporaine
« Chaque année, il me semble que l’on peut observer une tendance dominante parmi les lauréats de Circusnext. En 2020-2021 par exemple, le cirque allait à la rencontre des arts visuels et plastiques. Cette année, je dirais que les marqueurs du cirque sont très forts, de même que le désir de traiter de questions sociétales actuelles. Nos lauréats portent des propositions d’art contemporain », dit Sabrina Abiad. La Cia Doisacordes, Alice Rende, la compagnie Palimsesta et Édouard Peurichard ont en effet beau défendre des esthétiques très éloignées, ils ont en commun de faire du cirque un endroit de la pensée autant que du corps, un lieu de la réflexion par le geste, par le rapport à l’agrès. « Nous découvrons avec eux de nouveaux vocabulaires ».
Au Théâtre de la Cité Internationale, la soirée se compose de quatre parties de 20 minutes chacune. Elle s’ouvre sur un extrait de Cá entre nós du Brésilien Thiago Souza et du Chilien Roberto Willcock, qui fondent ensemble en 2019 la Cia Doisacordes, basée depuis l’an dernier à Barcelone. Dans une forme de rituel né de « l’agitation et du désir de changement » qui, disent-ils, « sont la flamme qui alimente notre impulsion à faire, concrètement, en partenariat », les deux artistes formés à l’École Nationale de Cirque du Brésil (ENC) puis au FLIC à Turin revisitent l’usage de la corde lisse. Habituellement utilisé en solo, cet agrès est ici souvent détourné des utilisations qu’on lui connaît. Au sol, il devient marqueur d’une frontière à l’intérieur de laquelle les deux complices se reconnectent, où ils déploient un langage fait de nœuds et de mains tendues. Sans un mot, ils expriment l’impératif de recréer du lien, d’inventer pour ce faire des langages nouveaux. Ils le font à partir d’éléments anciens, traditionnels, quand d’autres le font avec des outils qu’ils se forgent eux-mêmes, sur-mesure.
Le cirque en terres inconnues
Les Espagnols Andrea Rodriguez de Liébana et Sergio González, qui créent en 2021 leur compagnie Palimsesta, arrivent au cirque par des voies peu communes. Elle est chercheuse artistique, enseignante et architecte. Lui est artiste, travailleur social et également chercheur artistique. De leur rencontre naît Masha, dont nous avons pu voir une étape très prometteuse au TCI. Pour, expliquent-ils, « fournir une histoire critique sur l’annulation du sujet, à travers les nouvelles formes de capitalisme », ils se placent au centre d’un dispositif bifrontal, sur une étroite piste recouverte de graisse qui semble d’abord faciliter leurs déplacements mais qui se révèle en fait le compliquer. Sur leur chemin glissant, à demi-nus, les deux artistes sont tantôt burlesques, tantôt tragiques. Souvent les deux à la fois. Les différentes tactiques qu’ils adoptent pour rester debout et avancer relèvent de la prouesse quasi-invisible. En se donnant à observer de près dans ses tentatives d’aller vers l’autre, le duo de Masha exprime la nécessité de résister à l’isolement et à l’effacement que l’époque impose à l’individu.
Avec Fora, l’Italo-brésilienne Alice Rende installée à Marseille rend elle aussi compte de la difficulté à vivre libre grâce à un agrès personnel, déjà utilisé pour son premier solo Passages. Soit une boite en plexiglas à peine plus large que l’artiste mais beaucoup plus haut qu’elle. Contre l’enfermement, contre la domination, Alice Rende réagit par la contorsion, qu’elle pratique avec une puissance très théâtrale, presque narrative. Moins toutefois qu’Édouard Peurichard, le 4ème lauréat, dans Le repos du guerrier. Dans ce premier solo, l’artiste français que l’on a pu voir aux côtés d’Arnaud de Saury dans Dans ma chambre, qui réalise aussi de nombreux travaux en cirque adapté, raconte son parcours avec un humour et une adresse proche du stand-up. S’il y a du cirque dans sa pièce, c’est surtout comme matière à théâtre réfléchissant sur le cirque, sur son rapport au monde, sur ses possibles. Déjà très avancées dans leur conception, ces quatre formes donnent une idée du foisonnement du cirque de création européen.
Un réseau en extension
Si les lauréats sont ceux de tous les candidats – 120 cette année – ceux qui bénéficient de la plus grande visibilité, Sabrina Abiad tient à dire l’importance que peut avoir Circusnext pour les artistes ayant passé les étapes précédentes : les présélections nationales et la sélection européenne. « Cela permet aux compagnies de faire connaître leur travail aux professionnels de leur territoire, et d’ailleurs en Europe. Les artistes présélectionnés par les comités nationaux des pays partenaires – 36 en 2023 – bénéficient de laboratoires dans 5 pays d’Europe. Quant aux finalistes – 12 –, ils ont droit à une co-production ainsi à des accueils en résidence chez les lieux membres de circusnext Platforme en Europe ». C’est ainsi un soutien large aux auteurs de cirque émergents qu’offre Circusnext, dont l’un des objectifs est de couvrir toujours mieux le champ européen de la jeune création, notamment en développant des partenariats avec des pays qui n’y sont pas encore représentés.
« Cette année, le Danemark nous a rejoint avec La Dynamo. Nous espérons pouvoir prochainement tisser des liens avec la Pologne, avec l’Irlande – nous avons perdu la Grande Bretagne avec le Breixit », informe Sabrina Abiad. Selon elle, il faut être attentif au cirque de création qui se structure du côté de l’Allemagne, ainsi que dans les Balkans et les pays de l’Est, notamment en République tchèque. Si ces tendances ne se reflètent pas encore dans le choix des 4 lauréats annuels, cela ne saurait sans doute tarder. En attendant, nous pourrons voir éclore les quatre très prometteuses créations des lauréats de l’année. 2024 sera aussi pour Circusnext l’année d’ouverture de La Ferme Montsouris dans le 14ème arrondissement. Avec ce lieu de résidences artistiques et de rendez-vous publics qui se veut fortement ancré sur son territoire, la plateforme se fera locale en plus d’être européenne.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
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