Pour clore son diptyque consacré au chef d’oeuvre d’Homère, la metteuse en scène brésilienne est allée à la rencontre d’Ulysse et de Pénélope modernes. Gorgé de sincérité et de sensibilité, Le Présent qui déborde bute sur son ambition qui, en préférant le cinéma, abolit, ou presque, le théâtre.
Chez Christiane Jatahy, la scène est devenue un no man’s land, un endroit d’où les comédiens n’ont, comble du paradoxe, plus le droit de s’exprimer. Comme un miroir inversé de la première partie de son diptyque Notre Odyssée, où le théâtre occupait une place pleine et entière, la seconde, Le Présent qui déborde, présentée lors du 73e Festival d’Avignon, a remisé les acteurs de chair et d’os pour les remplacer par un écran, sur lequel un film est projeté. La metteuse en scène brésilienne est, il est vrai, coutumière de ce mélange des genres. De Julia, inspiré du Mademoiselle Julie de Strindberg, à La Règle du jeu de Jean Renoir, en passant par What if they went to Moscow ? d’après Les Trois Soeurs de Tchekhov, elle se plait à mêler, souvent avec talent, cinéma et théâtre afin que les deux arts se répondent. Sauf que, cette fois, à trop vouloir pousser le curseur, le second s’est transformé en simple faire-valoir du premier.
Pour construire son film, Christiane Jatahy est allée à la rencontre d’Ulysse et de Pénélope modernes. De la Palestine au Liban, de la Grèce à l’Afrique du Sud, elle a cherché des hommes et des femmes qui vivent l’exil dans leur chair. A chaque fois, elle y a trouvé des acteurs dont les parcours de vie pouvaient entrer en résonance avec la fiction d’Homère. Au Liban, elle a filmé des comédiens syriens prêts à jouer l’épisode de Circé ; en Afrique du Sud, des artistes réfugiés du Zimbabwe et du Malawi pour interpréter l’entrée chez Hadès. Son périple, Christiane Jatahy l’a terminé chez elle, au Brésil. Là, c’est sa propre histoire familiale qui a croisé celle d’Ulysse. Alors que, dans le récit homérique, le héros, une fois de retour à Ithaque, est invité par le devin Tirésias à retourner sur les traces de ses ancêtres, « là où les hommes n’ont jamais vu la mer », le grand-père de la metteuse en scène, dont le corps n’a jamais été retrouvé, a été victime d’un accident d’avion en pleine forêt amazonienne, là où les hommes, précisément, n’ont jamais vu la mer. Une façon aussi, pour Jatahy, de parler de cette Amazonie, menacée par la politique anti-écologique du nouveau président brésilien Jair Bolsonaro.
Dans ses bagages, l’artiste a également ramené des comédiens cosmopolites qu’elle installe parmi les spectateurs. En dialogue quasi-permanent avec leurs homologues du film, ils témoignent, eux aussi, par caméra interposée ou non, de leur histoire, sans que l’on sache ce qui relève du réel ou de la fiction. Audacieux, le procédé aurait pu être fertile. Las, malgré sa sincérité et sa sensibilité débordantes, l’ensemble parait trop artificiel. Il se transforme en une collection de témoignages sporadiques qui, à force d’être accumulés et transmis dans un cadre technique complexe, perdent une partie de leur force. Comme la première partie de son diptyque, celle-ci apparait alors d’une substance toute relative, bien en-deçà des attentes liées à un tel sujet, en or massif.
Surtout, alors qu’il est, traditionnellement, l’un des vecteurs les plus puissants du récit de vie, l’art théâtral est réduit à sa portion congrue. Quand ils ne témoignent pas, les comédiens présents en sont réduits à faire la bande-son du film, voire l’animation dans les gradins. Christiane Jatahy aura bien cherché à prolonger dans la salle ce qui se passait à l’écran, à abolir les frontières entre passé filmique et présent scénique, entre le gymnase du lycée Aubanel et la frontière libano-syrienne, les lois de la physique ont, cette fois-ci, supplanté son talent.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Le Présent qui déborde – Notre Odyssée II
d’après Homère
Avec Faisal Abu Alhayjaa, Manuela Afonso, Abed Aidy, Omar Al Sbaai, Abbas Abdulelah Al’Shukra, Maroine Amimi, Vitor Araújo, Bepkapoy, Marie-Aurore D’Awans, Emilie Franco, Joseph Gaylard, Noji Gaylard, Renata Hardy, Ramyar Hussaini, Iketi Kayapó, Irengri Kayapó, Ojo Kayapó, Laerte Késsimos, Kroti, Yara Ktaish, Pitchou Lambo, Abdul Lanjesi, Melina Martin, Jovial Mbenga, Nambulelo Meolongwara, Linda Michael Mkhwanasi, Mbali Ncube, Pravinah Nehwati, Adnan Ibrahim Nghnghia, Maria Laura Nogueira, Jehad Obeid, Ranin Odeh, Blessing Opoko, Phana, Pykatire, Corina Sabbas, Leon David Salazar, Mustafa Sheta, Frank Sithole, Fepa Teixeira, Ivan Tirtiaux, Ahmed TobasiMise en scène, réalisation, dramaturgie Christiane Jatahy
Collaboration artistique, scénographie, lumière Thomas Walgrave
Collaboration Henrique Mariano
Photographie Paulo Camacho
Son Alex Fostier
Musique Vitor Araújo, Domenico LancellottiProduction Théâtre national Wallonie-Bruxelles, SESC São Paulo
Coproduction Comédie de Genève, Ruhrtriennale (Allemagne), Odéon-Théâtre de l’Europe, São Luiz Teatro Municipal (Lisbonne), Riksteatern (Suède), Festival d’Avignon, Le Maillon Théâtre de Strasbourg Scène européenne, Festival Temporada Alta (Espagne)
Avec le soutien de The Freedom Theatre (Palestine), Outreach Foundation (Afrique du Sud)
Avec l’aide des ateliers du Théâtre national Wallonie-Bruxelles
En partenariat avec France Médias MondeChristiane Jatahy est artiste associée internationale au Centquatre-Paris/France, à l’Odeon- Théâtre de l’Europe/France et au Schauspielhaus Zürich/Suisse
Durée : 2 heures
Festival d’Avignon 2019
5, 6, 8, 9, 10, 11 juillet à 18h et 12 juillet à 15h
Gymnase AubanelLe Centquatre-Paris
du 1er au 17 novembreLe Maillon Théâtre de Strasbourg Scène européenne
du 4 au 6 décembreLa Comédie de Saint-Etienne
les 6 et 7 février 2020Centre dramatique national Besançon Franche-Comté
du 1er au 4 avril 2020
Bonjour Fabrice
Mme Jatahy est bientôt au 104..
Me concernant une amie s’est déjà chargé de réserver pour quelques copines le 16 novembre.
Voila je te passe cette info
Merci encore pour l’entretien de ce matin
bien à toi
Sophie