Au Grand Théâtre de Provence, Andrea Breth reprend sa lecture radicalement noire et secouante de Jakob Lenz de Rihm. La metteuse en scène allemande s’attache à montrer sans concession la violence et la déchéance du personnage éponyme.
A la fin des années 1970, tandis que Woyzeck et Lulu mis en musique par Berg comptent déjà parmi les figures les plus passionnantes de l’opéra moderne, Wolfgang Rihm s’attaquait à Jakob Lenz, poète allemand en déshérence et autre anti-héros du jeune Georg Büchner. Agé de 26 ans seulement, le compositeur lui consacre un opéra de chambre écrit pour un effectif orchestral et vocal, certes réduit, mais foudroyant sur le plan du son et de l’expressivité. Avec une densité époustouflante, six voix et onze instruments seulement traduisent la déraison de Lenz.
Spécialiste de la musique du XXe siècle, Ingo Metzmacher, à la tête de l’Ensemble Modern, rend parfaitement compte de la riche et abrupte véhémence d’une oeuvre qui sonne avec un métal d’argent sous l’exactitude de sa direction analytique, mais non dénuée de lyrisme. Très considérée en Allemagne, Andrea Breth fait bien tardivement ses premiers pas sur une scène française. Elle présente pour l’occasion l’un de ses meilleurs travaux : une mise en scène qui hypertrophie toute la noirceur et la brutalité de l’oeuvre, mais aussi sa singulière beauté ensorcelante.
Le spectacle créé à Stuttgart en 2014 et déjà donné à Bruxelles et à Berlin résiste au temps et confirme à Aix sa bonne réputation due à des qualités exceptionnelles. Il prend à bras le corps le personnage (dédoublé par un danseur en lévitation) et le milieu hostile dans lequel il évolue. Une scénographie magistrale et d’une très forte plasticité, signée par Martin Zehetguber, fait cohabiter et s’interpénétrer une demeure austère aux murs lépreux hantée de silhouettes mortifères et un champ de rochers comme tout droit sortis du romantisme noir d’un Caspar David Friedrich. Par un jeu de miroir, de déplacement et de déséquilibre des éléments, s’impose sur scène une étrangeté tangible. C’est dans une nature désolée et ce contexte inhospitalier que le fugitif Lenz trouve refuge loin de l’agitation du monde et s’enfonce dans sa dépression maladive. Poursuivi par des voix et surtout par l’image de la femme aimée qu’il a perdue, il déploie des visions cauchemardesques particulièrement inspirées et fait figure d’un martyre quasi christique.
Depuis la création du spectacle, c’est Georg Nigl qui incarne puissamment le personnage de Lenz. Il est phénoménal. Scéniquement, corps à moitié nu et esprit fortement dérangé en proie au délire dans un jeu hyperbolique absolument stupéfiant, incandescent ; et vocalement, repoussé dans les extrêmes retranchements d’une ligne de chant ardue et fortement heurtée, qui confine parfois au gémissement rauque et au hurlement perçant. Malgré les difficultés retorses de la partition, il se montre aussi à l’aise dans le parler que le chanter. Il est aussi fort bien secondé par Wolfgang Bankl et John Daszak qui tiennent respectivement les rôles d’Oberlin et de l’horrible Kaufmann. Glissant dans l’univers sordide et blafard d’un asile de fous, Lenz évolue en caleçon, puis en camisole, autour d’une sceau rempli d’excréments dont il s’enduira le torse et le visage et d’un lit en fer blanc. La torture et la désolation atteignent leur apogée dans la violence et la crudité.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Jakob Lenz de Wolfgang Rihm (1952)
Opéra de chambre en un acte
Livret de Michael Fröhling, d’après le roman « Lenz » de Georg Büchner
Créé le 8 mars 1979 à HambourgDirection musicale Ingo Metzmacher
Mise en scène Andrea Breth
Scénographie Martin Zehetgruber
Costumes Eva Dessecker
Lumière Alexander Koppelmann
Dramaturgie Sergio MorabitoLenz Georg Nigl
Oberlin James Platt
Kaufmann John Daszak
Soprano 1 Josefin Feiler
Soprano 2 Olga Heikkilä
Alto 1 Sabrina Kögel
Alto 2 Beth Taylor
Basse 1 Dominic Große
Basse 2 Eric AnderOrchestre Ensemble Modern
Durée : 1h15
Festival d’Aix 2019
5, 8, 12 juillet
Grand Théâtre de Provence
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