Dans une forme simplissime, sur le ton de la conversation et de la confidence, Marcial di Fonzo Bo et Jean-Christophe Folly portent les intimes convictions de deux artistes humanistes, Baldwin et Avedon.
Noir, protestant et homosexuel, blanc, juif et hétérosexuel, si différents et pourtant amis intimement liés, l’écrivain James Baldwin et le photographe Richard Avedon ont fait oeuvre commune en 1964 d’une publication intitulée Nothing Personal constituée de textes et de photos mis en regard et en dialogue pour portraiturer l’Amérique telle qu’ils la voyaient. C’est à la lecture de cet ouvrage présent sur scène aux pieds des comédiens entre autres catalogues d’art, mais aussi de vastes interviews et essais qu’ont été pensés et élaborés par le dramaturge Kevin Keiss et la metteure en scène Elise Vigier ces entretiens imaginaires. Ils sont restitués dans un spectacle à la fois court dans sa forme – un peu plus d’une heure de représentation montée avec une simplicité telle que tout paraît naturellement évident – et dense dans son propos qui dénonce la violence intime et sociale engendrée par la haine raciale.
Jean-Christophe Folly a joué Hall Montana, un des personnages principaux de Harlem Quartet, le célèbre roman de Baldwin adapté et porté à la scène, celui qui ouvrait la pièce par un long monologue au cours duquel il racontait, sombre et blessé, le deuil de son petit frère Arthur, retrouvé dans les toilettes d’un bar de nuit londonien, gisant dans son propre sang. Cette fois, le comédien interprète l’auteur de cette somme littéraire qui chronique le Harlem des années 50-70, le racisme et l’intolérance de l’Amérique avec la communauté noire. Cette Amérique, Baldwin l’a quittée en 1948, pour rejoindre la France à 24 ans. Né à New York, Richard Avedon, vient, quant à lui, d’une famille d’émigrés russes en quête d’intégration sur le territoire américain. Il touche à la photographie à l’âge de 10 ans. Il réalise des portraits de stars ou d’anonymes avec un style très identifiable prompt à traduire l’âme de ses modèles.
En costumes noirs de gala, les deux hommes et artistes sont présentés sans trop de cérémonie mais avec une folle élégance. Plein de vitalité, ils se dandinent allègrement dégingandés sur un standard de jazz ; plein de délicatesse, ils se racontent, sans concession. A ces figures, se superposent les histoires des interprètes eux-mêmes s’appelant par leur propre prénom. De photographies de famille convoquées sur le plateau découlent des évocations elliptiques de ce qu’ils sont et de ce dont ils sont constitués.
Le dispositif excelle à faire tout appréhender sous la forme de la rencontre et du dialogue. Dialogue entre Jimmy et Richard, dialogue entre Marcial et Jean-Christophe, dialogue entre les arts et la vie, dialogue entre Buenos Aires et Barbes, entre des époques qui n’ont malheureusement pas rien à voir en terme d’exclusion des individus et de réflexions identitaires épineuses.
Avec fugacité, un mélange de sérieux et de décontraction, sur le ton apparemment anodin de la conversation, de nombreuses idées et valeurs importantes sont brassées et échangées. Sans appuyer, sans forcer, le propos d’une dimension militante trop brutale, le discours parvient à se faire entendre intimement, posément, et délivre des vérités ô combien salutaires. C’est avec justesse et sensibilité que se posent les questions de l’origine, de l’amour, du passé, de la mémoire, de la mort, de la construction de soi, du combat, de la responsabilité, de l’art et de sa nécessité. Tels que présentés sur scène, Baldwin et Avedon sont des observateurs aigus qui invitent à modifier notre façon de regarder et d’analyser. Ils prouvent combien l’art permet de dire précisément, intensément, son rapport à soi, à l’autre et au monde.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Baldwin – Avedon : Entretiens imaginaires
par Élise Vigier
Avec Marcial Di Fonzo Bo et Jean-Christophe Folly
Production : Comédie de Caen-CDN de Normandie.Durée : 1h
Rond-Point
du 29 mars au 14 avril
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