Paul Moulin s’approprie la bande-dessinée de Fabcaro et la transforme en fiction radiophonique. Un exercice savoureux d’humour noir.
Après le roman, voire l’essai, y compris sociologique, c’est au tour de la bande-dessinée de damer le pion aux pièces classiques et de passer à la moulinette théâtrale. Pour représenter Zaï zaï zaï zaï, la fameuse BD multi-primée de Fabcaro, Paul Moulin ne s’est embarrassé d’aucun décor, ni costume. Épaulé par sa fidèle comparse Maïa Sandoz pour en peaufiner l’adaptation, le metteur en scène a préfère opter pour le pas de côté et transformer la petite scène de la cabane du Monfort Théâtre en studio de radio. Alignés en rang d’oignon derrière une table longiligne, les huit comédiens, dont deux sont plus particulièrement responsables des bruitages, sont chargés d’enregistrer une fiction radiophonique. L’exercice est plus compliqué qu’il n’y parait puisque les interprètes sont largement dépossédés de l’un de leurs instruments fétiches, le corps, et doivent se contenter de leurs voix pour incarner une kyrielle de personnages.
D’Aymeric Demarigny à Adèle Haenel, d’Emmanuel Noblet à Aurélie Verillon, de Maxime Coggio à Élisa Bourreau, de Christophe Danvin à Cyrille Labbé (distribution de la création), tous réussissent, avec aisance, à relever le défi. Il faut dire que le substrat, truculent, fourni par Fabcaro les y aide grandement. Peu à peu, la troupe se laisse gagner par le grain de folie qui submerge cette histoire au point de départ croquignolesque. Alors qu’il passe tranquillement à la caisse d’un supermarché, Fabrice, un homme apparemment bien sous tous rapports, sa profession de dessinateur de BD mise à part, se heurte un problème inattendu : il a oublié sa carte de fidélité dans l’un de ses pantalons. Médusé par l’intransigeance de la caissière, qui appelle derechef la sécurité du magasin, il décide de prendre ses jambes à son cou et s’embarque dans une cavale qui fait de lui le fugitif le plus recherché de France.
Sans avoir l’air d’y toucher, Fabcaro, dont il faudrait relire l’ensemble des bulles pour appréhender toute la subtilité et la richesse du propos, dresse le portrait d’une société en plein délire, où tout le monde, média comme citoyen, semble avoir perdu la raison. Aux frontières de la dystopie, Zaï zaï zaï zaï – d’après le refrain entêtant de la chanson de Joe Dassin Siffler sur la colline – condamne les délinquants à de longues minutes de karaoké, et voit la vox populi en appeler à la peine de mort pour les oublis de carte de fidélité. L’œuvre grossit à peine le trait d’un collectif où, parce qu’ils sont obnubilés par leurs petits problèmes quotidiens et leurs petites préoccupations individuelles, les citoyens ont oublié de s’interroger sur l’essentiel, devenu totalement absurde.
De ce côté drôlatique, parce que satirique, les comédiens s’emparent pour dessiner les contours de personnages hauts en couleur. Insuffisamment soutenus par des bruitages à la réalisation inégale, et bien moins créative que dans certaines autres productions comme le récent Dans la peau de Don Quichotte du collectif La Cordonnerie, ils parviennent toutefois à fournir aux spectateurs les ingrédients nécessaires pour faire phosphorer leur imaginaire, et leur conscience, et se représenter, eux-mêmes, cette histoire à la loufoquerie moins insensée qu’il n’y parait.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
ZAÏ ZAÏ ZAÏ ZAÏ
D’après la bande dessinée de Fabcaro
Mise en scène Paul Moulin
Adaptation Maïa Sandoz
Avec (à la création) Aymeric Demarigny, Adèle Haenel, Emmanuel Noblet, Aurélie Verillon, Maxime Coggio, Élisa Bourreau, Christophe Danvin et Cyrille LabbéAvec pour le Off 2024 (en alternance) Paul Moulin, Maïa Sandoz, Emmanuel Noblet, Ariane Bégoin, Aurélie Vérillon, Christophe Danvin, Jean-François Domingues, Elisa Bourreau, Maxime Coggio, Cyrille Labbé
Avec la voix de Serge Biavan
Régie son Jean-François Domingues / Samuel Mazzoti
Création sonore Christophe DanvinProduction Théâtre de l’Argument ; Coproduction Le Théâtre de Rungis, Fontenay en Scènes – Fontenay-sous-bois / Avec le soutien de la SPEDIDAM et d’Arcadi. La Cie est soutenue par la Drac Île de France, ministère de la Culture, par le Conseil départemental du Val de Marne et est en résidence au Théâtre de Rungis.
Durée : 1h
Festival d’Avignon Off 2024
11 · Avignon
du 2 au 21 juillet, à 19h05 (relâche 8 et 15)
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