Après le succès rencontré par son « Phèdre », il y a quelques mois, au Studio-Théâtre de la Comédie-Française, la jeune metteuse en scène continue de creuser son sillon théâtral singulier avec « Rebbibia », récemment créé au TNP de Villeurbanne. Portrait d’une artiste déterminée qui, à bas bruit, construit sa place dans le paysage scénique français.
« Radicalité ». Le mot est lâché. Lorsqu’on l’interroge sur son leitmotiv théâtral, la voix de Louise Vignaud se fait soudain plus affirmée : « Le langage scénique que je développe repose sur une certaine radicalité, une absence de compromis intellectuel et un refus de toute mollesse mentale. Quand vous montez un spectacle, il ne faut jamais rien lâcher et aller au bout de ce que le texte et le plateau peuvent vous apporter. » Cette détermination, les spectateurs avaient pu l’apercevoir lors du « Phèdre » de Sénèque qu’elle avait donné la saison passée au Studio-Théâtre de la Comédie-Française. Armée d’un parti-pris tranché, la jeune metteuse en scène en avait aiguisé les arêtes les plus coupantes et livré un drame familial à cru.
Adepte du grand écart théâtral qui lui permet « de ne pas se figer dans un répertoire » – elle s’est déjà aventurée du côté de Feydeau (« Tailleur pour dames ») et de Pasolini (« Calderón »), de Molière (« Le Misanthrope ») et de Florence Aubenas (« Le Quai de Ouistreham »), de Koltès (« La Nuit juste avant les forêts ») et bientôt de Duras (« Agatha ») – cette jeune normalienne, de 29 ans à peine, avance au gré de ces coups de cœur qui, à la lecture, lui donnent des envies de plateau. « A posteriori, je me rends compte que tous les textes que j’ai choisis abordent, d’une façon ou d’une autre, la quête de liberté ou la quête de soi dans un monde social qui ne nous convient pas, détaille-t-elle. Dans « Calderón », Pasolini est à la recherche d’un espace de liberté au cœur de l’Espagne franquiste, les personnages de Feydeau veulent échapper à la mort grâce à un divertissement étourdissant, quand, dans « Le Misanthrope », Alceste se révolte contre le monde de la représentation dans lequel il vit. »
Un désir de liberté qu’elle a retrouvé dans « L’Université de Rebibbia », le roman autobiographique de Goliarda Sapienza qu’elle a récemment adapté au TNP de Villeurbanne. Récit des huit jours que l’autrice italienne a passés entre les murs de cette prison romaine à la suite d’un vol de bijoux, il révèle l’espace de liberté qui peut se créer au sein d’une société carcérale où, derrière la dureté du système, se cache une part d’humanité. Incarnée par cinq artistes de talent – Prune Beuchat, Magali Bonat, Nine de Montal, Pauline Vaubaillon, et Charlotte Villalonga – cette galerie de portraits de détenues hautes en couleur démontre, dans le droite lignée de son travail avec les « Stradivarius » de la Comédie-Française, toute la finesse de la direction d’acteurs de Louise Vignaud, capable d’emmener ses comédiens vers un naturalisme confondant de réalisme. « J’aime bien que les acteurs trouvent leur chemin pour parvenir à l’objectif commun que nous nous sommes fixés, explique-t-elle. Plus que des directives, je leur pose souvent beaucoup de questions. A eux, ensuite, d’y répondre avec leur corps et leur vie. Pour avoir des acteurs vivants, il est très important qu’ils puissent répondre par eux-mêmes. »
Cette méthode, qui mêle séances de lecture à la table, de plus en plus courtes, et expérimentations au plateau, de plus en plus longues, la directrice du Théâtre des Clochards Célestes l’a forgée en plusieurs étapes : en tant que spectatrice, d’abord, dans ces théâtres où elle se rendait souvent avec sa grand-mère et où elle a vécu de « grands chocs », comme le « Phèdre » mythique de Patrice Chéreau ou « La Rose et la hache » monté par Georges Lauvaudant au Théâtre de l’Odéon ; au lycée Louis-le-Grand, où, pendant six ans, prépa littéraire comprise, elle a monté une pièce chaque année au sein d’un club théâtre autogéré ; et, surtout, auprès de ces metteurs en scène qui, après ses études à l’ENSATT, ont pu lui transmettre leur savoir-faire au cours de multiples missions d’assistanat. « De Christian Schiaretti, je retiens l’art du travail à la table, de Richard Brunel, les variations de jeu qu’il propose à ses comédiens, de Michel Raskine, cette recherche constante d’efficacité, analyse-t-elle. Chez chacun d’eux, j’ai puisé les armes qui me servent aujourd’hui à développer mon propre langage. » Au vu de ses dernières créations, on peut affirmer, sans trop se risquer, qu’elle est sur la bonne voie.
Vincent BOUQUET – www.sceneweb.fr
Rebibbia
d’après L’Université de Rebibbia de Goliarda Sapienza
mise en scène Louise Vignaud
adaptation Louise Vignaud et Alison Cosson
écriture Alison Cossonavec Prune Beuchat, Magali Bonat, Nine de Montal, Pauline Vaubaillon, Charlotte Villalonga
scénographie Irène Vignaud
vidéo Rohan Thomas
son Clément Rousseaux
costumes Cindy Lombardi
lumières Luc Michelproduction Compagnie la Résolue
coproduction Théâtre National Populaire
Théâtre du Vellein, Villefontaine
Le Grand Angle, VoironCe projet bénéficie de l’aide à la création de la DRAC Auvergne-Rhône-Alpes.
L’Université de Rebibbia est paru dans la traduction de Nathalie Castagné aux éditions Le Tripode.
Rebibbia se veut une adaptation libre de ce récit, elle n’engage que ses auteurs.Avec le soutien de la SPEDIDAM
(La SPEDIDAM est une société de perception et de distribution qui gère les droits des artistes interprètes en matière d’enregistrement, de diffusion et de réutilisation des prestations enregistrées.)Durée : 1h40 — Résidence de création
Petit théâtre, salle Jean-BouiseTNP Villeurbanne
14 – 30 novembre 2018
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