Au Théâtre National de Strasbourg, Valérie Dréville poursuit avec Anatoli Vassiliev le travail entamé en 2002 sur le Médée-Matériau d’Heiner Müller. Elle offre, à travers une expérience incroyablement radicale et viscérale, le spectacle cru de la violence et de la souffrance d’une femme meurtrie.
Au centre du plateau dégagé, surélevée sur une estrade de bois clair, la comédienne trône en majesté. Entre ses jambes écartées apparaîtra un sexe en érection. Elle est aussi bien homme que femme, jeune que vieille, belle que laide. Elle se fait la synthèse d’une identité multiple et défaite. Le regard fixe, la voix rauque, le corps quasi immobile, c’est une présence monstre qui éructe la douleur. Faisant montre d’une autorité furieuse, elle n’est pourtant que fêlure, faiblesse. Mise à nu, sa peau est comme une plaie à panser. L’actrice s’enduit d’un baume et couvre de pansements certaines parties de son visage et de son torse.
La reine barbare, exilée de son pays, abandonnée par Jason, a trahi, tué. Ses enfants assassinés sont figurés par deux petites poupées de chiffon aussi minces et fragiles que des brindilles. La meurtrière les sert contre sa poitrine avant de les immoler par le feu dans une vasque à ses pieds. Elle se consume tout autant. La mise en scène et l’interprétation se fondent sur la déconstruction. Tout est lambeaux, chaos, dans la restitution du texte de Müller. La parole y est brutalement disloquée, syncopée.
Valérie Dréville qui a travaillé avec de nombreux Maîtres, (Vitez, Régy, Ostermeier…) dit à quel point la rencontre avec Vassiliev a été pour elle déterminante et déstabilisante. Conduite dans une maîtrise totale de l’exercice vers un abandon qui s’apparente à la transe, elle impressionne. Elle use comme une possédée de mystérieux sortilèges et s’adonne à un rite expiatoire et extatique qui renvoie aux origines du théâtre, du mythe, de l’humanité. Derrière elle, défilent sur un écran les mouvements lents d’une mer calme puis agitée qui inspire le vertige. Devant ce paysage virtuel et originel exulte l’éloquence subversive de la chair, de la vie, de l’extrême. Tout agit avec force dans une forme à la fois rigoureuse et explosive, d’une intensité absolue.
Comment Médée peut-elle être toute aussi concrète et insaisissable, archaïque et universelle ? C’est la force de cette proposition cinglante, effrayante. A la fin, tout n’est que cendres et fumée. Plus rien n’existe. Alors que Médée est confrontée à l’oubli, ce grand moment de théâtre qui s’apparente à un choc marque durablement les spectateurs.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Médée-Matériau
Texte Heiner Müller
Mise en scène Anatoli Vassiliev
Traduction Jean Jourdheuil et Heinz Schwarzinger
Scénographie Anatoli Vassiliev et Vladimir Kovaltchouk
Vidéo Alexandre Chapochnikov
Costumes, maquillage et accessoires Vadim Andreïev
Lumières Anatoli Vassiliev
Composition sonore Andreï Zatchessov
Travail corporel Ilya Kozin
Avec Valérie Dréville
Production Théâtre National de Strasbourg
Le décor et les costumes sont réalisés par les ateliers du TNS.
Valérie Dréville est actrice associée au TNS.
Le texte est publié aux Éditions de Minuit.
Durée 1h15.Théâtre National de Strasbourg
Du 29 avril au 4 mai
Bouffes du Nord
Du 24 mai au 3 juin 2017
Du mar. au sam. à 20h30
Matinée le dim. 28 à 17h00
Relâche le jeu. 25 mai
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