Directeur du Centre Dramatique de Rouen, David Bobée signe sur ses terres normandes sa première mise en scène d’opéra avec The Rake’s progress répété et créé à Caen avant une tournée en France et au Luxembourg. L’opéra libertin de Stravinsky y est transposé dans le monde du libéralisme en crise.
Très éloigné de l’univers pictural de Hogart dont les gravures ont inspiré le compositeur, la mise en scène de David Bobée recontextualise l’opéra dans un univers matérialiste. L’oeuvre perd en poésie facétieuse et débridée ce qu’elle gagne en brutale actualité. Passant du bordel à la banque, le débauché Tom Rakwell, qui dès son premier air soupire « I wish I had Money », endosse le costume d’un trader qui rappelle le Macbeth de Verdi mis en scène par Ivo van Hove à l’Opéra de Lyon.
Sur un plateau nu à la froideur mortifère, la City s’affiche en grand format comme les cours de la Bourse. Le Shard domine la Tamise sous un lourd ciel gris et la ville se manifeste par la marche frénétique d’un chœur toujours en mouvements. Des silhouettes et visages, divers et brassés, se multiplient pour former un melting-pot culturel, une foule grouillante dans laquelle Anne, en petite robe saumonée, se trouve fragile et égarée. Bien que moderne et affranchie, la mise en scène de David Bobée ne rompt pas totalement avec la lecture naïve attendue et se montre parfois un peu sage. Elle dit néanmoins avec pertinence l’ambition vaine et la perdition de Tom, antihéros par excellence dont la tentation d’ascension sociale et d’argent facile cause la perte.
Créé en 1951, le dernier opéra de Stravinsky apparaît comme une œuvre hors-temps, un anachronisme, plus proche du pastiche néo-classique que des avant-gardes contemporaines à sa composition. Avec ses récitatifs accompagnés au clavecin et son écriture musicale et vocale d’inspiration mozartienne, il reste décrié bien que de plus en plus souvent joué. Pour preuve, se distinguent quelques versions de référence comme celles de Sellars, Lepage, Warlikowski ou d’Olivier Py qui assurait en 2008 l’entrée tardive de l’œuvre au répertoire de l’Opéra de Paris. Si cette production jouait à fond la carte du cabaret licencieux, celle de Bobée se montre bien moins frivole. En revanche, la partition flamboie et ne risque pas de se faire trop corseter sous la vive et flatteuse direction de Jean Deroyer, chef d’orchestre principal de l’Orchestre Régional de Normandie qui déploie des sonorités brillantes et se fait à bon escient autant lyrique qu’ironique. La distribution réunit des chanteurs homogènes et pour la plupart anglo-saxons. Vocalement, le jeune ténor Benjamin Hulett se montre clair et solide bien qu’il surjoue constamment la candeur. Face à lui, un formidable mauvais diable – car il s’agit bien d’un conte faustien – est composé par le baryton Kevin Short à la puissance écrasante. La pureté angélique du personnage d’Anne se voit gâtée par les aigus tendus de Marie Arnet dont la délicate incarnation scénique reste émouvante. En starlette à paparazzi, la Baba d’Isabelle Druet éblouit.
Christophe candoni – www.sceneweb.fr
The Rake’s Progress
opéra en trois actes
Igor Stravinsky (1882-1971)
livret Wystan Hugh Auden, Chester Kallman
créé à Venise le 11 septembre 1951
Orchestre Régional de Normandie
Chœur de l’Opéra de Limoges – direction Jacques Maresch
Jean Deroyer direction musicale
David Bobée mise en scène et scénographie18 et 20 novembre à l’Opéra de Reims
11,13 et 16 décembre à l’Opéra de Rouen
20 et 22 janvier à l’Opéra de Limoges
3 et 5 février au Grand Théâtre de Luxembourg
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