Le court opéra Brundibár, vitrine d’un cynisme abject de la part du régime nazi face aux visiteurs de la Croix-Rouge au camp de Terezin en 1944, est restitué avec une vitalité salvatrice par Jeanne Candel au service des enfants de la Maîtrise de l’Opéra de Lyon.
Tous les parents sont dans un puits et regardent vers le haut. D’emblée, les enfants font ce terrible constat qu’ils semblent ne pas comprendre tant il est tragique. Le ton est donné. Cet opéra composé en 1938 par le librettiste Adolf Hoffmeister et composé par Hans Krása est sombre mais la justice triomphe. Pepícek et sa grande sœur Aninka veillent sur leur mère très malade. Leur père est à la guerre et c’est à eux de la soigner et de lui apporter du lait mais ils n’ont pas d’argent. « Chef de la musique et maître de la rue » comme il se définit, Brundibár, lui, accumule la monnaie en chantant et tournant la manivelle de son orgue de barbarie. La fratrie décide alors de faire la même chose mais leur voix enfantine est étouffée par les bruits environnants.
En 2016, quand elle met en scène pour la première fois cette œuvre, déjà avec la Maîtrise de l’Opéra de Lyon, Jeanne Candel imagine, avec la décoratrice Lisa Navarro, ce décor malin et joueur d’un visage d’animal (ou humain ?) sur une toile blanche qui peu à peu s’anime : des pupilles apparaissent à l’emplacement des yeux, de la fumée sort des narines et surtout la bouche s’ouvre en grand, une langue – dans laquelle était alitée la mère mourante – se déploient et les dents deviennent des masques pour les enfants.
La metteuse en scène offre à cette trentaine d’enfants emmenés avec une précision impressionnante par le duo Sophia Manaudou-Joassard et Pierre Dupaigne (il y a deux distributions), une véritable aire de jeux. Qui est d’autant plus propice à faire apparaitre le chat, l’oiseau, le chien (des enfants costumés) qui vont fomenter la revanche des petits dans le 2e et dernier acte et constituer une armée pour chasser cet homme bourru aux mauvaises manières qui s’amuse avec un avion téléguidé pour signifier les bombardements. « Tous, amis réunis / Ils ont formé un chœur / Pas un seul n’a eu peur / Devant ce dictateur ». En français, en tchèque, en parlant (au tiers), en chantant (aux deux tiers), ils vont s’ajuster à la douzaine de musiciens dirigés par Clément Lonca assis à cour, tout près d’eux. Ils font alliance et Jeanne Candel tisse même des liens entre musique et jeu quand la jeune sœur enjoint l’accordéoniste à l’aider à gagner de l’argent.
Par ailleurs, pour rallonger cette œuvre courte (trente minutes à l’origine, 50 minutes ici) inspirée par les contes Hänsel et Gretel et Les Musiciens de Brême, elle laisse la Maitrise s’emparer du plateau en harmonie, avec un fort sens du collectif et elle a la bonne intuition de laisser le chanteur adulte, Florent Karrer, faire une démonstration de ce que son personnage chante dans la rue : des airs d’opéras très connus, enchainant La Reine de la nuit de La Flûte enchantée aux tubes de Carmen (Toréador, L’Amour est un oiseau rebelle…).
Voilà donc comment cette histoire d’ « une enfance finie » trouve un écrin joyeux comme un pied de nez puissant à celle, dramatique de la naissance de cet opéra. Hans Krása, internés dans le camp de Terezin (Theresienstadt en allemand) dans sa Tchécoslovaquie occupée va y créer ce travail en 1943 avec la seule partition pour piano – les autres ont disparus – et les 13 instruments disponibles dans le camp. Au chant : des enfants orphelins. Brundibár y sera joué 55 fois dont une devant une délégation internationale du comité de la Croix-Rouge en août 1944, complètement bernée par les autorités nazies qui ont pris le temps de ripoliner les murs pour bien les accueillir. La Croix-Rouge rédigera un rapport positif à l’issue de cette visite. Trois mois plus tard pourtant, en novembre, les musiciens et les enfants seront déportés à Auschwitz où périt également Krása. Ils seront presque tous exterminés.
Nadja Pobel – www.sceneweb.fr
Brundibár
Opéra pour enfants en deux actes
Musique : Hans Krása
Livret : Adolf Hoffmeister
Adaptation française du livret : Chantal Galiana
Direction musicale : Clément Lonca
Mise en scène : Jeanne Candel
Assistanat à la mise en scène : Jean Hostache
Décors : Lisa Navarro
Costumes : Pauline Kieffer
Lumières : Vyara Stefanova
Chorégraphie : Isabelle Catalan
Chef des chœurs : Nicolas Parisot
Régie de production : Clara GiraultAvec
Florent Karrer (Brundibár)L’Orchestre de l’Opéra de Lyon : Catherine Puertolas (flûte), Sandrine Pastor (clarinette), Pascal Savignon (trompette), Pierre Tomassi (percussion), Grégory Kirche (piano), Mélanie Brégant (accordéon), Kazimierz Olechowski, Maria Nagao, Camille Béreau, Quentin Reymond (violons), Alice Bourgouin (violoncelle), Johanna Sans (contrebasse)
La Maîtrise de l’Opéra de Lyon : Pierre Dupaigne, Côme Muller-Rappard, Sophia Manaudou-Joassard, Mona Guibert Demoreuille, Orianne Amer, Alyxia Arnaud, Sarah Becker Malatre, Léo Paul Bernard, Masaki Blanchard Kitano, Jeanne-Camille Boucharlat, Apolline Campana, Constance De Peyer, Léa Degiovannini, Anna Dupont De Dinechin, Louise Dutournier, Suzanne Dutournier, Adèle Eloy, Mila Fillion, Tessadite Gostiaux, Sonia Guerin, Luna Iff Leymarie, Suzanne Lyonnet, Elisa Olivieri, Azel Ouarbiaa, Anouk Pain, Mahé Picault, Sara Saleh Agha, Louise Thevenart, Gaspard Velut, Constance Vericel Pelissier, Ivan Declinand, Marceau Ferrand, Jeanne Bouchonnet, Nausicaa Orlando, Elaia Barthaburu, Apolline Capelier, Marlène Capillon, Rosalinde Charpin Girard, Elena Chevtchouk Mayer, Capucine Consol, Célestine Consol, Ayla Ray Dopkowski, Lilou Eymard, Clémence Forray, Myla Kedjam Gonzalez, Arthur Le Bars, Adèle Le Huidoux Heuwinkel, Raphaël Liotier, Nyma Mekouar, Capucine Mos, Daphné Mos, Sidonie Nyffenegger, Oscar Odin, Enoa Orcel Polese, Agathe Pappini, Gena Partrick, Alkis Quartier Faka, Elsa Simonet, Anatole Velaidomestry, Emi Verre
Production : Opéra de Lyon
Coréalisation : Théâtre de La Renaissance – Oullins Lyon Métropole, Théâtre Théo Argence – Saint-Priest.Durée : 1h
Opéra de Lyon
Du 23 mai au 1er juin 2024
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