La dramaturge allemande Dea Loher entre de son vivant au répertoire de la Comédie-Française. C’est l’une des dernières propositions artistiques de Muriel Mayette-Holz, ancienne administratrice qui a quitté son poste cet été. La pièce est une composition chorale de personnages de la rue confrontés à la noirceur du monde. Le texte souvent ardu permet cependant de beaux moments de théâtre. Il n’y a rien de révolutionnaire mais les comédiens de la troupe composent de beaux personnages.
Sur les 1034 auteurs du répertoire de la Comédie-Française seulement 41 sont des femmes, entrer de son vivant est d’autant plus rare. C’est arrivé la première fois en 2002 pour Marguerite Duras avec Savannah Bay, puis il y a eu Marie NDiaye en 2003 et l’américaine Naomi Wallace en 2012. Denis Marleau qui a déjà mis en scène Agamemnon à la Comédie-Française en 2011 et une autre pièce de Dea Loher, Le Dernier feu au Québec en 2013 signe un spectacle épuré. Dans un décor dont les parois de la cage de scène ressemblent à un assemblage de pages blanches, il orchestre la communauté imaginée par Deo Loher. On y retrouve deux immigrés clandestins (Bakary Sangaré et Näzim Boudjenah), une danseuse non-voyante (Georgia Scalliet), une vieille femme acariâtre et autoritaire (Danièle Lebrun), les parents d’une fille assassinée ( Gilles David et Catherine Sauval), des candidats au suicide (Louis Arène et Pierre Hancisse), un croque-mort (Sébastien Pouderoux), une philosophe vieillissante qui n’a de cesse de frapper sur son mari qui confectionne des bijoux (Cécile Brune)….Les comédiens sont pratiquement tout le temps sur scène, immobiles lorsqu’ils ne jouent pas. C’est un peu comme si le plateau était une grande maison de poupées. On joue juste avec les personnages dont on a besoin pour raconter l’histoire.
Dea Loher parle de la vie de tous les jours. Elle souligne les à-priori de la société, le racisme ordinaire, s’interroge sur l’existence de dieu. Sa langue poétique (et traduite par Laurent Muhleisen) met tout les personnages à égalité, quelque soit leur condition sociale. Ils fuient leur destin, leurs douleurs resurgissent. Denis Marleau en fait des fantômes au teint blafard, les costumes magnifiques de Jean-Paul Gaultier réalisés avec des tissus aux fibres très légères accentuent cette transparence. Comme souvent dans les spectacles de Denis Marleau la vidéo accompagne sa scénographie. Les projections de dessins crayonnés et animés de Félix Dufour-Laperrière soulignent la poésie de l’auteure et parfois arrondissent les angles d’un texte complexe qui hélas souvent se répète.
Dans cette pièce très sombre où il est beaucoup question du suicide, les comédiens de la troupe relèvent ce défi ardu. Pauline Méreuze est très touchante dans le rôle de Rosa, jeune épouse tiraillée entre sa vie affective avec son mari (Sébastien Pouderoux) et sa mère, Danièle Lebrun qui est épatante dans le rôle de Frau Zucker. Bakary Sangaré dans le rôle de Fadoul le clandestin est très touchant. C’est l’une de ses meilleures prestations.
Au bout du compte la pièce dont on parvient à recoller les morceaux comme un puzzle trouve son énergie dans ce kaléidoscope de rôles. On s’est laissé porté par le jeu des comédiens mais globalement la composition de Denis Marleau reste bien sage au regard de cette écriture fouillée que l’on demande à revoir dans une autre mise en scène.
Stéphane CAPRON – www.sceneweb.fr
Innocence de Dea Loher par Denis Marleau
L’Arche est éditeur et agent théâtral du texte représenté
Claude Mathieu: Frau Habersatt, femme seule
Catherine Sauval: Mère d’une jeune fille assassinée
Cécile Brune: Ella, philosophe vieillissante
Bakary Sangaré: Fadoul, immigré clandestin
Gilles David: Père d’une jeune fille assassinée et Helmut, mari d’Ella
Georgia Scalliet: Absolue, jeune femme aveugle
Nâzim Boudjenah: Elisio, immigré clandestin
Danièle Lebrun: Frau Zucker, mère de Rosa
Louis Arene: Jeune médecin et Candidat au suicide
Pierre Hancisse: Candidat au suicide
Sébastien Pouderoux: Franz, qui s’occupe des morts
Pauline Méreuze: Rosa, femme de Franz
Mise en scène et scénographie : Denis Marleau
Collaboration artistique et conception vidéo : Stéphanie Jasmin
Assistant scénographe : Stéphane Longpré
Traduction et dramaturgie : Laurent Muhleisen
Costumes : Jean-Paul Gaultier
Lumières : Marie-Christine Soma
Réalisateur vidéo : Pierre Laniel
Musique originale et son : Jérôme Minière
Dessinateur d’animation : Félix Dufour-Laperrière
Salle Richelieu
Du 28 mars 2015 au 1er juillet 2015
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