Au Théâtre de l’Atelier, la metteuse en scène donne vie aux figures des cabarets d’Hanokh Levin, mais sous-exploite la cruauté des textes de l’auteur israélien et le talent de ses comédiens, Hugo Bardin et Charly Voodoo en tête.
Sur le papier, le Cabaret théâtral orchestré par Valérie Lesort promettait d’être haut en couleur, et en cruauté. Tricotée à partir des sketches et chansons qu’Hanokh Levin a écrits pour nourrir ses cabarets satiriques – aujourd’hui compilés dans plusieurs recueils publiés aux Éditions Théâtrales : Que d’espoir !, Douce vengeance et autres sketches, Une mouche (être ou ne pas être) et Parce que, moi aussi, je suis un être humain… –, cette revue d’un genre particulier pouvait compter sur le bestiaire humain façonné par l’auteur israélien, sur ces personnages, comme autant de figures, qui brossent un portrait au vitriol de la condition humaine, et tendent un miroir déformant à ceux qui les regardent pour qu’ils y observent, tout à la fois, le reflet de leurs bassesses, de leurs manquements, de leur petitesse et de leurs espoirs bien souvent déçus. Armée de son savoir-faire pour faire advenir, à partir d’univers artistiques singuliers, des atmosphères scéniques qui ne le sont pas moins – comme elle avait su le prouver, au côté de Christian Hecq, dans 20 000 lieues sous les mers, Le Voyage de Gulliver, Le Bourgeois gentilhomme et, plus encore, en flirtant du côté de l’opéra-bouffe (La Périchole) ou de la comédie musicale (La petite boutique des horreurs) –, Valérie Lesort pouvait aussi s’appuyer sur son goût pour le mélange des genres, sur cette alliance entre musique et théâtre loin d’être inédite pour elle. Au plateau, elle s’est d’ailleurs entourée de comédiens qui ont ce mix dans la peau, à commencer par Hugo Bardin, connu notamment pour son titre de première reine du drag français obtenu lors de l’émission Drag Race France, et Charly Voodoo, qui fait les beaux soirs du cabaret Madame Arthur depuis une dizaine d’années. Tous les ingrédients semblaient réunis, donc, mais au sortir, Que d’espoir ! laisse un étrange goût de trop peu.
Dans la plus pure tradition du genre, ce Cabaret théâtral enchaîne les petits numéros, où les chansons servent moins de support premier que d’intermèdes, durant lesquels Charly Voodoo s’installe au piano pour pousser la chansonnette ou accompagner ses camarades de jeu qui se suivent les uns après les autres au micro. Au fil des sketches, se succèdent, pêle-mêle, un homme et une femme qui se prennent de passion pour un chapeau qui se transforme, un client qui attend de l’hôtel où il se rend des services un peu trop exceptionnels, une épouse qui, après que son mari lui a demandé de lui passer le sel, rentre dans une colère noire et se répand sans discontinuer sur son impuissance, un magicien qui n’a aucune honte d’avoir (réellement) coupé l’une de ses spectatrices en deux, une femme qui entend bien se servir d’une séance de cinéma pour se débarrasser de son époux – en s’acoquinant avec son beau gosse de voisin ou en lui racontant d’incroyables histoires sur son premier amour –, une cliente qui, devant un stand de hot-dog, se prend à rêver qu’on lui serve tout autre chose à même de transformer son existence, ou encore une femme sans aucune pudeur qui revient à intervalles réguliers pour s’épancher sur son bouton au pied ou épousseter la tombe de son mari à grand renfort de commentaires. Toutes et tous, sans nous ressembler tout à fait, s’imposent alors comme des créatures modelées à partir de nos turpitudes intimes.
Pour les faire naître, et doper leur côté grotesque, Valérie Lesort a la malicieuse idée de s’inspirer du jeu pour enfants « Monsieur Patate » qui, à partir d’un tubercule de base, permet de créer nombre de personnages en fonction des appendices en plastique dont il est affublé. Grâce à la formidable ingéniosité de Carole Allemand, qui a imaginé ces costumes et prothèses, les perruques, moustaches, cravates, faux cols de chemises et autres bijoux, tous rigidifiés, donnent aux comédiennes et aux comédiens l’allure de Playmobils qui passeraient de rôle en rôle, et de peau en peau, en fonction des accessoires qu’ils enfilent parfois à vue. Impressionnant de minutie dans sa réalisation, cocasse dans le décalage du regard qu’il produit, ce parti-pris a malheureusement un revers, celui de compromettre la capacité d’identification et de compassion envers ces hommes et ces femmes rendus à leur statut de créatures littéraires. Dès lors, tout se passe comme si cette collection d’artifices faisait partiellement écran à la tendre cruauté des textes d’Hanokh Levin que Valérie Lesort peine, de surcroit, à cultiver suffisamment dans sa direction d’acteurs comme dans sa lecture des sketches qu’elle a retenus. Si, par ce biais éminemment théâtral, les personnages se retrouvent, en apparence, on ne peut plus caractérisés, ils apparaissent bien souvent un peu plus fades que la partition textuelle qui leur sert de substrat. Comme si Valérie Lesort n’avait pas osé en pousser les feux, comme si quelque part, une fois son audace costumière posée, elle avait pêché par excès de prudence.
Si la prose douce-amère d’Hanokh Levin réussit, malgré tout, à nous parvenir, si sa façon si subtile d’enchevêtrer les faiblesses intrinsèques et les aspirations contrariées, les grands élans de l’esprit et la trivialité d’une condition physique toujours menacée et menaçante – on ne compte plus les occasions manquées à cause d’une pause pipi ou les crises d’anxiété provoquées par de potentielles traces fécales dans le slip –, fait souvent mouche, ces défaillances humaines, trop humaines, sont portées par des personnages qui peinent à monter en puissance, alors qu’ils devraient être en capacité de faire rire, et même, parfois, de bouleverser. Tandis que ce Cabaret théâtral, dans son ensemble, manque d’un souffle qui le traverserait de part en part pour mieux le propulser, les comédiennes et comédiens, tous remarquables dans leur engagement comme dans leur faculté d’adaptation, semblent assez largement sous-exploités. Largement reconnus pour leurs compétences singulières qui ne sont plus à prouver tant elles ont su enflammer les scènes, Hugo Bardin et Charly Voodoo sont traités à la manière de comédiens lambdas, et trop peu de ce qui fait leur marque de fabrique n’est convoqué par Valérie Lesort, qui paraît les avoir phagocytés dans son univers. Cet impair est d’autant plus regrettable qu’un tel assemblage aurait sans doute pu permettre à son spectacle de se doter du panache et de la flamboyance qui lui font cruellement défaut.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Que d’espoir ! Cabaret théâtral
Textes choisis parmi les cabarets d’Hanokh Levin
Textes français Laurence Sendrowicz (Éditions Théâtrales)
Mise en scène Valérie Lesort
Avec Valérie Lesort en alternance avec Céline Milliat-Baumgartner, Hugo Bardin, David Migeot, Charly Voodoo
Assistant à la mise en scène et accessoiriste Florimond Plantier
Collaboration artistique, perruques et maquillages Hugo Bardin
Compositeur Charly Voodoo
Création lumières Pascal Laajili
Mise en espace Robin Laporte
Création costumes et prothèses Carole Allemand
Réalisation costumes Elisabeth Cerqueiras, Lucie Charrier, Maxence Moulin, Fabienne Touzi dit Terzi, Carole Allemand
Réalisation prothèses Laurent Huet, Maxence Moulin, Carole Allemand
Régie de scène Élodie Galmiche, KloreProduction Théâtre de l’Atelier
Coproduction Compagnie Point Fixe Christian Hecq et Valérie Lesort ; Les Célestins, Théâtre de LyonLa Compagnie Point Fixe est conventionnée par le ministère de la Culture / Direction régionale des affaires culturelles Ile-de-France.
Durée : 1h10
Théâtre de l’Atelier, Paris
du 24 avril au 13 juillet 2025
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