Thylda Barès, le collectif dans la peau
À la tête du In Itinere Collectif, en co-direction avec Paul Colom, Thylda Barès, qui en signe toutes les mises en scène, est une artiste lumineuse, aux ressources impressionnantes, prompte à investir de multiples champs de recherche et d’action pour déployer les potentiels infinis du spectacle vivant et aller au-devant des publics. Elle est l’une de nos personnalités de l’année 2024.
Un père scénographe, une mère comédienne, des grands-parents qui ont joué sous la direction de Jean Dasté, une bibliothèque croulant sous les vieilles éditions théâtrales, une enfance à pratiquer le cirque autant que le chant lyrique à la Maîtrise de Paris, à bourlinguer de spectacles en festivals, Thylda Barès porte haut le flambeau familial, et le terme d’enfant de la balle n’a jamais été aussi bien adapté à une personnalité. C’est d’ailleurs pour s’affranchir de cet héritage très présent et tracer sa route par ses propres moyens que la jeune femme part se former ailleurs, à la Queen Mary University of London, terreau de la performance, du théâtre en espace public et de l’art vivant militant. Elle y rencontre les dramaturgies anglo-saxonnes, telles que le Théâtre de Complicité, le DV8 Theater ou encore le travail de Robert Lepage, et découvre la création collective qui est un genre en soi là-bas : le devised theater. Avide d’apprendre et de voyager, elle poursuit ses études par un an de stage au Brésil, puis deux ans à New-York. Résultat, Thylda est multilingue, et parle le français, l’anglais, l’allemand, le portugais et la langue des signes française. Respect.
Quand elle revient en France, c’est pour se former à l’École Jacques Lecoq, où elle rencontre ses coéquipier⸱ères qui, depuis une dizaine d’années, tissent l’aventure du In Itinere Collectif, fondé en binôme avec le comédien Paul Colom. Thylda Barès a l’humilité de celles et ceux qui savent que l’on n’invente jamais rien, mais l’utopie de croire à la possibilité de faire œuvre à plusieurs. « Le théâtre est un art collectif par excellence et c’est mon endroit de combat : faire du théâtre en nombre », affirme celle qui ne dirige jamais moins de cinq personnes au plateau. Écriture collective, troupe internationale – 36 interprètes en alternance, de 18 nationalités différentes, composent le collectif –, travail du corps et du chœur poussé à son maximum, sa démarche combine l’exigence de sensibilité du théâtre en salle à l’exigence de rythme du théâtre de rue, tout en mettant un point d’honneur à raconter des histoires. Ses spectacles sont littéralement tout-terrain. Ils se jouent principalement dans l’espace public, mais fonctionnent également en boîte noire. Son crédo : l’adaptation, pour aller au-devant du public, toujours.
Retrouver l’émerveillement
Né d’un exercice dans le cadre de l’École Lecoq, Traverser la rivière sous la pluie a obtenu le prix du public du Festival Mimos en 2018 et marque les débuts du collectif en posant les bases d’un travail de troupe physique et narratif ; puis Pourquoi les vieux, qui n’ont rien à faire, traversent-ils au feu rouge ? aborde avec succès le jeu masqué et rafle plusieurs prix en festivals de rue. Récemment passé par le Théâtre de Belleville, mais créé en septembre dans l’espace public, n degrés de liberté s’empare, quant à lui, de la Commune de Paris en mêlant le geste à la parole dans une dynamique chorale remarquable. Quand elle évoque son travail, Thylda Barès dit « faire suer des gens ensemble, rester toujours à l’écoute et essayer de retrouver l’émerveillement » éprouvé enfant quand elle suivait ses parents en tournée.
Après plusieurs années d’assistanat en parallèle, notamment avec Lorraine de Sagazan sur Un Sacre, Pierre Guillois et Olivier Martin-Salvan sur Les Gros patinent bien et Yngvild Aspeli sur Dracula, elle mesure la richesse de cet apprentissage, tout en voulant désormais se consacrer uniquement à son propre processus créatif. « L’assistanat m’a appris la capacité de risque de chacun⸱e. C’est une vraie école. Et puis tu réalises concrètement que le dispositif de travail que tu instaures n’est pas le système universel, et voir de l’intérieur un processus de création autre, c’est passionnant. » Mais la vraie pierre de touche de son travail, ce sont Les Escales, un projet né du Covid, qui vise à « réduire l’espace entre une commune et un spectacle ». Comment ? En créant du sur-mesure, à partir des paroles, témoignages et confidences des habitant⸱es sur un temps extrêmement court : en une semaine, les comédien⸱nes ratissent la ville – commerces, écoles, associations, porte-à-porte – pour récolter les récits de chacun⸱e, puis ils s’enferment deux jours et demi pour créer et présentent le samedi un spectacle imaginé sur le vif et in situ pour la population locale. La représentation est gratuite, ouverte au tout public et se termine par un verre offert. « Les Escales sont un vivier de notre travail, ce sont des rendez-vous qui nous soudent en tant que compagnie et nous permettent même d’élargir nos outils. On s’est mis au chant, à la manipulation d’objets, on expérimente. »
Une soif de faire lien et sens
Par ailleurs, Thylda Barès développe deux endroits de recherche. Lauréate du dispositif Artcéna « Auteurs en tandem Arts de la rue », elle s’associe à l’autrice Laurie Guin-Trouillas et amorce un travail autour des nuisibles. Comme elle ne fait rien à moitié, elle a adopté des petits rats et suivi une formation sur leur système cognitif. Nuisibles est envisagé comme une déambulation à la tombée de la nuit, en compagnie de rats en semi-liberté. En parallèle, Thylda Barès se projette déjà dans sa prochaine création, inspirée de Sa Majesté des mouches, où elle explore, une fois de plus, comment faire société. Après l’utopie de la Commune, à partir de la fable sociétale de William Golding qui met en scène des enfants échoués sur une île déserte, elle plonge dans le côté obscur du collectif, son versant sombre, un cauchemar dystopique qui prendra une forme marionnettique dans un bac à sable.
Jamais à court d’envies et d’idées, Thylda Barès avance au gré de ses propres transformations et apprentissages, démultipliant techniques et méthodes pour les injecter dans ses créations. Elle se forme actuellement à la TCAI (Transe cognitive auto-induite) afin de pouvoir elle-même l’enseigner et l’utiliser dans son rapport à la création. Pour, une fois de plus, « retrouver cet endroit total de l’enfance, où le centre c’est soi, pas le regard de l’autre ». Thylda Barès a soif de faire lien et sens, et ses spectacles y parviennent assurément.
Marie Plantin – www.sceneweb.fr
Les coups de coeur 2024 de Marie Plantin
Le plus choral : n degrés de liberté du In Itinere Collectif
Le plus cathartique : Le Ring de Katharsy d’Alice Laloy
Le plus hypnotique : Dans ton intérieur de Julia Perazzini
Le plus féminin pluriel : Cavalières d’Isabelle Lafon
Le plus écologique : Une pièce pour les vivant.e.x.s en temps d’extinction de David Geselson
Le plus poétique : Qui som ? de Baro d’evel
Le plus cinématographique : Lacrima de Caroline Guiela Nguyen
Le plus bucolique : le Hamlet en plein air d’Audrey Bonnet
Le plus faulknérien : Absalon, Absalon ! de Séverine Chavrier
Le plus cosmique : Fusées de Jeanne Candel
La révélation performative : Kenza Berrada dans Boujloud (l’homme aux peaux)
Et les queens Betty Tchomanga et Eva Doumbia : personnalités les plus « décoloniales » qui labourent l’Histoire pour lui faire cracher son versant caché.
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