Le 26 mars 1922 était créé à l’Opéra de Francfort Sancta Susanna de Paul Hindemith : une œuvre aussi brève que brûlante, un opéra au parfum de scandale qui fit l’effet d’un coup de tonnerre dans le ciel de l’entre-deux-guerres. Ce geste transgressif, accompli conjointement par le compositeur et par son personnage éponyme, nous avons décidé d’en faire le geste inaugural de notre saison dédiée toute entière à la transgression.
Dans son essai Une Histoire du vertige, l’écrivain Camille de Toledo rappelle l’impérieuse nécessité de nous libérer aujourd’hui des mythes dans lesquels l’humanité s’est enfermée au cours des siècles. Il nous faut pour cela créer de nouveaux récits : des récits réparateurs qui restaurent symboliquement notre lien au monde sensible. L’art a ce pouvoir de nous permettre – quelques heures durant – d’embrasser ce monde nu.
Cette réparation commence par une rupture: elle implique de dire non, de refuser le monde comme il va, de transgresser les cadres de pensée qui se sont imposés à nous. Cette transgression, nous avons voulu la multiplier, la répéter par trois fois à travers un geste artistique singulier : rassembler trois œuvres méconnues sinon inconnues – des ouvrages de compositeurs différents, d’époques différentes – dans une même soirée placée sous le signe de l’interdit et de son dépassement.
C’est ainsi qu’au geste de Susanna répond la soif de savoir de Judith qui ouvre une à une les portes du Château de Barbe-Bleue. Peut-être connaissez-vous cet essai édifiant signé George Steiner – Dans le château de Barbe-Bleue, Notes pour une redéfinition de la culture – qui voit dans ce conte une métaphore de l’Histoire, déverrouillant les portes jusqu’à la dernière qui nous place face à la catastrophe… Mais refusant de céder au désespoir, nous achevons la soirée par la rare Danse des morts d’Arthur Honegger, qui franchit l’ultime tabou avec un humour féroce : dans cet oratorio qui mêle de manière époustouflante les influences savantes et populaires sur un puissant texte de Paul Claudel, les morts sont des revenants comme les autres qui ont sans doute plus à nous apprendre sur la vie que sur l’au-delà.
Anthony Almeida – lauréat de l’European Opera Director Prize – a œuvré à trouver le fil conducteur dans ce triptyque en forme de labyrinthe. Il l’a trouvé dans une femme, héroïne des temps modernes, représentée à trois moments décisifs de son existence. Pourquoi la transgression ? La transgression n’a rien de gratuit : celles et ceux qui s’y sont risqués au cours de l’Histoire en ont souvent payé le prix fort. Mais il me semble qu’à cette question, le metteur en scène apporte dans les pages suivantes une réponse magnifique : parce qu’elle nous permet de devenir qui l’on est.
Matthieu Dussouillez
Directeur général
Sancta Susanna, Paul Hindemith
Le Château de Barbe-Bleue, Béla Bartók
La Danse des morts, Arthur Honegger
Nouvelle production Opéra national de LorraineOrchestre et Chœur de l’Opéra national de Lorraine
Direction musicale
Sora Elisabeth LeeChef de chœur
Guillaume FauchèreMise en scène
Anthony AlmeidaScénographie et costumes
Basia BińkowskaLumières
Franck EvinCollaboration au mouvement
Rosabel HuguetAssistanat à la mise en scène
Alixe Durand Saint GuillainSancta Susanna
Opéra en un acte créé à l’Opéra de Francfort le 26 mars 1922Livret August Stramm
Musique Paul Hindemith
Sancta Susanna
Anaïk Morel
Klementia
Rosie Aldridge
Une servante
Apolline Raï-Westphal
Un valet
Yannis François
Une vieille nonne
Soliste du Chœur de l’OpéraLe Château de Barbe-Bleue
Opéra en un acte créé à l’Hungarian Royal Opera House le 24 mai 1918Livret Béla Balázs, d’après le conte de Charles Perrault
Musique Béla Bartók
Barbe-Bleue
Joshua Bloom
Judith
Rosie AldridgeLa Danse des morts
Oratorio créé à Bâle le 2 mars 1940Livret Paul Claudel, d’après des
textes bibliques
Musique Arthur Honegger
Alto
Anaïk Morel
Soprano
Apolline Raï-Westphal
Baryton
Yannis François
Catherine
Marief Guittier
Une fillette
Salma-Faïhrouz JacquotAnseur, Adèle Thirion1
(en alternance)
1. Jeunes chanteuses du Conservatoire Régional du Grand NancyOctobre 2024
Opéra national de Lorraine
Dim 6 — 15h*
Mar 8 — 20h
Jeu 10 — 20h**
Sam 12 — 20h
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