Scéniquement bâtie à partir des objets donnés chaque soir par les spectatrices et les spectateurs, la version du chef-d’oeuvre de Molière imaginée par Clément Poirée, avec John Arnold dans le rôle-titre, peine à profiter de l’ensemble de la force dramaturgique de son concept, aussi sympathique que pertinent.
Des gants en plastique, des bottes et un casque de vélo ; quelques parapluies, une poêle et un vinyle de chants provençaux ; un éthylotest, des palmes « taille enfant » et un CD du Sacre du printemps ; des bonbons, une collection de Beaux Arts Magazine et des sacs entiers de vêtements où, en cherchant bien, ont été glissées des pièces plus facétieuses que d’autres, à l’image de ces deux soutiens-gorge en dentelle noire – du « bonnet A » et du « bonnet C », tient à préciser l’autrice de cette découverte, Anne-Élodie Sorlin. En ce dimanche de la mi-septembre, les spectatrices et les spectateurs venus en nombre au Théâtre de la Tempête pour découvrir L’Avare de Clément Poirée arrivent les bras chargés de présents. Ils répondent ainsi à l’appel du metteur en scène qui, par l’intermédiaire d’une « wishlist » diffusée quelques jours avant la représentation, les mettait à contribution et les invitait à faire don de ces objets dont ils n’avaient plus aucune utilité. Objectif : pouvoir monter « un Avare aussi radin qu’Harpagon lui-même » – avant de distribuer le fruit de cette collecte à La Petite Rockette, une association à la tête de deux ressourceries, un restaurant « anti-gaspi », un atelier vélo participatif et une friperie solidaire.
Sur le plateau de la salle Serreau, ne trônent alors, aux prémices de cet Avare, que quelques étagères grillagées et plusieurs bacs conçus pour trier les dons en fonction de leur utilité. Bientôt, les comédiennes et les comédiens, très légèrement vêtus, s’affairent pour absorber, non sans commentaires, cette montagne manufacturière, et trouver quelques habits pour éviter de jouer « cul nu ». À leur côté, oeuvrent en silence un groupe de petites mains, « les tabliers ». Chacun à leur endroit et avec leur expertise, ils tentent de transformer le plomb en or, de dénicher la perle rare pour fabriquer un costume ou une perruque, pour imaginer un son, ou diffuser une musique, à partir d’une casserole, d’un vinyle ou d’un verre, pour faire éclore une création lumière grâce à plusieurs projecteurs et une collection d’élégantes servantes. Chevilles ouvrières habituellement dans l’ombre, et à l’abri, des coulisses, la maquilleuse Pauline Bry-Martin, le régisseur Yan Dekel, la compositrice Stéphanie Gibert et l’habilleuse Émilie Lechevalier sont cette fois sous les feux de la rampe, contraints de créer à vue, et en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, des éléments scénographiques par essence uniques, et encore plus éphémères qu’à l’accoutumée.
En tant que chef d’orchestre de cet Avare de seconde main, Clément Poirée pouvait compter sur son expérience en matière de spectacles concepts. Depuis son arrivée à la tête du Théâtre de la Tempête en 2017, à la suite de son mentor, Philippe Adrien, le metteur en scène a multiplié, avec plus ou moins de réussite, les projets hors des sentiers battus, et osé organiser une soirée de catch théâtral (Catch !), confronter Oncle Vania et L’Homme des bois (Vania/Vania ou le démon de la destruction) ou acoquiner, par surprise, Le Frigo de Copi avec Les Bonnes de Genet et/ou le Macbeth de Shakespeare (Dans le frigo). Moins au forceps, sur le papier, que certaines de ses propositions passées, cet Avare en mode radin trouve une justification dramaturgique claire, et naturelle, dans le personnage central d’Harpagon, dont l’avarice est à ce point patentée qu’elle matrice tout, jusqu’au devenir de ses propres enfants, Élise, qui est amoureuse de Valère, et Cléante, qui n’a d’yeux que pour Mariane. On pouvait alors espérer qu’il entre aussi en résonance, de façon frontale, avec les préoccupations de notre monde, qu’il puise de la force dans un terreau plus politique – comme avait récemment su le faire Benoît Lambert –, lié aux questions de sobriété et de décroissance posées par le changement climatique, au sacrifice d’une génération par une autre ou aux difficultés du monde théâtral en proie aux coupes budgétaires qui fragilisent son fonctionnement.
Las, Clément Poirée peine, dans les faits, et au-delà des bonnes intentions, à y parvenir, et ne profite pas suffisamment des décalages et des frictions qui progressivement se créent entre l’image scénique, faite de bric et de broc parfois aux limites de l’absurde, et le texte, en particulier la langue, de Molière. Tandis qu’elle mériterait d’être resserrée pour permettre à la mécanique de précision imaginée par le dramaturge français de produire tous ses effets, sa proposition demeure, en dépit du caractère sympathique du concept et du travail scénographique haute couture des « tabliers », un peu trop sage, à la lisière d’une ambiance plus volontiers foutraque qui lui permettrait de gagner en puissance. Bien qu’insuffisamment creusé, y compris dans son appréhension des différents personnages, cet Avare recyclé reste, malgré tout, L’Avare, et profite autant des séquences drolatiques saupoudrées çà et là par Molière que du jeu des actrices et des acteurs, à commencer par John Arnold. Pivot de ce projet hors norme, seul comédien doté d’un costume en bonne et due forme, avec toute l’austérité qui sied à Harpagon, il campe un Avare tel qu’en lui-même, au naturel, avec la malicieuse aisance qu’on lui connaît. Lorsqu’il apparaît sur le plateau, il se montre capable de tirer vers le haut l’ensemble des membres de la distribution, dont certains, au jour de la troisième, paraissaient avoir besoin d’encore un peu de rodage. Un besoin d’autant plus logique que la dynamique scénique qui, chaque soir, impose de faire tabula rasa met, encore un peu plus que d’habitude, les comédiennes et les comédiens en position périlleuse, forcément périlleuse, d’équilibriste.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
L’Avare
Texte Molière
Mise en scène Clément Poirée
Avec John Arnold, Mathilde Auneveux, Pascal Cesari, Virgil Leclaire, Nelson-Rafaell Madel, Laurent Ménoret, Marie Razafindrakoto, Anne-Élodie Sorlin
Collaboration à la mise en scène Pauline Labib-Lamour
Scénographie, accessoires Erwan Creff, assisté de Caroline Aouin
Lumières Guillaume Tesson, assisté de Marine David
Costumes Hanna Sjödin, assistée de Camille Lamy et de Malaury Flamand
Musique, son Stéphanie Gibert, assistée de Farid Laroussi
Maquillage, perruques Pauline Bry-Martin, assistée de Sylvain Dufour
Régie générale, régie plateau Yan Dekel
Habillage Émilie Lechevalier, Solène TruongProduction Théâtre de la Tempête, subventionné par le ministère de la Culture et la région Ile-de-France, soutenu par la ville de Paris
Coproduction Théâtre de la Manufacture – CDN Nancy Lorraine ; CREA – Coopérative de Résidence pour les Écritures et les Auteurs-rices – Mont-Saint-Michel – Normandie
Avec le soutien du Théâtre de Sartrouville et des Yvelines – CDN, de l’École de la Comédie de Saint-Étienne/DIÈSE# Auvergne Rhône-Alpes, du dispositif d’insertion de l’École du Nord
Avec l’aide de la ressourcerie La Petite RocketteDurée : 2h30
Théâtre de la Tempête, Paris
du 13 septembre au 20 octobre 2024Forum de Flers / Scène nationale 61
les 4 et 5 novembreCommunauté d’agglomération Mont Saint Michel Normandie, Avranches
les 6 et 7 novembreThéâtre de l’Éclat, Pont-Audemer
le 8 novembreThéâtre de Sartrouville et des Yvelines, CDN
les 21 et 22 novembreL’Hectare, Vendôme
les 26 et 27 novembreLe Splendid, Saint-Quentin
le 29 novembreLes Théâtres de Maisons-Alfort
le 3 décembreLes Passerelles, Pontault-Combault
le 6 décembreThéâtre de la Manufacture, Nancy
du 10 au 14 décembreTransversales, Verdun
le 16 décembre
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