Le dramaturge et metteur en scène poursuit son Cycle Liliane et Paul au long d’une balade parisienne où, bien des années après sa rupture, le couple voit, à nouveau, la petite et la grande Histoire se répondre.
Un peu plus de deux ans après leur premier pas de deux, Nos paysages mineurs, créé dans le cadre, naturellement intimiste, de La Comédie itinérante, Liliane et Paul se retrouvent propulsés sur le grand plateau de La Comédie de Valence, avant une tournée qui les conduira sur des scènes tout aussi imposantes, de Bobigny à Besançon, en passant par Malakoff et Mulhouse. Nous avions quitté ces deux-là en 1975, à bord du train Paris-Saint-Quentin où, six ans plus tôt, leurs routes s’étaient croisées. Lui était alors écrivain et prof de philo dans un lycée technologique de Saint-Quentin ; elle, saint-quentinoise d’origine, vendeuse par défaut au Bazar de l’Hôtel de Ville depuis qu’elle s’était installée, trois ans plus tôt, à Paris. Dans la période post-soixante-huitarde qui a intimement marqué leur histoire, l’une et l’autre ont cru, un temps, aux prémices de ces six années, pouvoir dépasser leurs différences sociales pour s’unir, mais se sont vite vus rattrapés par la domination patriarcale de Paul, un homme bien de son époque, et par les désirs d’émancipation de Liliane, une femme bien de la sienne.
Dix-sept ans après la fin de leur idylle, les voilà à nouveau réunis, un soir d’automne, dans les rues de Paris, aux environs de l’avenue de Breteuil. En ce 11 octobre 1992, Paul n’a plus vraiment le panache et la splendeur d’antan. Cheveux en bataille, jean un peu lâche, imper un brin élimé, il sort tout juste des locaux de son éditeur et se désespère de n’avoir vendu que 5000 exemplaires de son dernier livre, bien loin de ses succès passés qui, il y a quelques années, lui avaient valu, coup sur coup, le Goncourt et le Renaudot. L’âme en peine, il tombe (presque) par hasard sur Liliane, des paquets de La Grande Épicerie plein les bras. On comprend bien vite que le couple, malgré sa séparation, a eu un fils, Martin, désormais âgé de 15 ans, mais qu’ils ne se parlent plus franchement. Touchée par les malheurs de Paul, Liliane, d’abord rétive, accepte finalement de faire un bout de chemin avec lui, tout en lui reprochant de ne pas avoir reçu la pension alimentaire qu’il lui doit chaque mois. Pas à pas, cette entrevue en coup de vent se transforme en balade au long cours et en occasion non pas de recoller les morceaux, comme le souhaiterait Paul, mu par un besoin immédiat de consolation, mais de solder, une bonne fois pour toutes, leur histoire, sans forcément régler tous leurs comptes, comme on souhaiterait y mettre un point final.
À travers leurs échanges, Liliane et Paul sont, comme dans Nos paysages mineurs, représentatifs d’une partie des femmes et des hommes de leur époque. En même temps que le communisme, qui, après une longue déliquescence, s’est vaporisé dans l’effet de souffle de la chute du mur de Berlin, et alors que Francis Fukuyama publie La Fin de l’histoire et le Dernier Homme, qui, selon son auteur, acte le triomphe des États-Unis et de son modèle libéral, les idéaux de Liliane et Paul ont bel et bien vécu. Chacun dans leur sillon, ils éprouvent des difficultés financières certaines et se retrouvent, surtout, déboussolés. Pour continuer à avancer, l’une se réfugie dans sa solitude, tandis que l’autre n’en finit plus de dégringoler du piédestal qu’il avait, un temps, réussi à atteindre. Dans ce mélange de la petite et de la grande Histoire, une dynamique souterraine, plus sourde, se fait jour, celle de l’émancipation d’une femme qui, en le quittant, s’est libérée de l’emprise de son conjoint, bien décidé à l’enfermer, à tout jamais, dans un rôle de créature littéraire, dans la peau de l’héroïne de son best-seller La jeune femme du train. En choisissant de garder Martin et de l’élever, l’immense majorité du temps, en solitaire, Liliane s’impose comme une mère célibataire courage qui, si elle a refusé de sacrifier aux désirs patriarcaux de l’homme qui partageait sa vie, s’est sacrifiée, et a sacrifié ses rêves, pour offrir la meilleure éducation possible à son fils.
Entre les deux parties de son Cycle, qui devrait bientôt en connaître une troisième, Marc Lainé joue la carte de la complémentarité. Alors que le voyage de Nos paysages mineurs se construisait, à l’instar d’une relation, sur plusieurs années, la rupture d’En finir avec leur histoire tombe, elle, comme un couperet, en un peu plus d’une heure top chrono et en temps réel. Avec, une nouvelle fois, un sens de la photographie très travaillée qui reproduit, en fond de scène, des images dignes d’un caméscope VHS des années 1980-1990, les rues de Paris se substituent aux paysages de la campagne picarde, et les déplacements en train se font, cette fois-ci, à pied, grâce à un ingénieux système de tapis roulants et avec cet art du mouvement que Marc Lainé affectionne tant. Moins intermédié par la vidéo que dans le premier volet, le rapport au corps se fait ici beaucoup plus direct, comme si la romance, presque cinématographique, des débuts devait céder sa place à une réalité plus brute, plus frontale, plus franche. Accompagnés par les notes du violoncelliste Vincent Ségal, Adeline Guillot et Vladislav Gallard jouent, encore une fois, avec une grande finesse, la partition de leur dramaturge et metteur en scène. Moins vaillants qu’à leurs débuts, ils apparaissent ici en animaux blessés, mais toujours, au fond, aussi rugissants.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
En finir avec leur histoire (Cycle Liliane et Paul, 1992)
Texte, mise en scène et scénographie Marc Lainé
Avec Vladislav Galard, Adeline Guillot, Vincent Ségal, Antoine de Toffoli et trois caméras motorisées
Musique Vincent Ségal
Lumière Kevin Briard
Son Clément Rousseaux-Barthès
Vidéo Baptiste Klein
Costumes Dominique Fournier
Assistanat à la mise en scène Antoine de Toffoli
Collaboration à la scénographie Stephan Zimmerli
Regard chorégraphique Mickaël Phelippeau
Motorisation des tapis Denis DuplexProduction La Comédie de Valence – Centre dramatique national Drôme-Ardèche
Coproduction MC93 – Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis, Bobigny ; La Passerelle, Scène nationale des Alpes du Sud, Gap ; MC2: Maison de la Culture de GrenobleDurée : 1h05
La Comédie de Valence, Centre dramatique national Drôme-Ardèche
du 11 au 19 janvier 2024MC93 – Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis, Bobigny
du 27 janvier au 4 févrierMalakoff, Scène nationale
les 8 et 9 févrierLa Filature, Scène nationale de Mulhouse
les 15 et 16 févrierCDN Besançon Franche-Comté
les 15 et 16 mai
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