Formé à l’école de Chaillot, puis au Conservatoire supérieur d’Art dramatique de Paris, Thibault Lacroix joue sous la direction de Lucie Berelowitsch, Vincent Macaigne ou Clément Poirée. Cette semaine il crée en itinérance dans le cadre de la saison du Préau – CDN de Vire, Vie et mort de rien d’après Beckett dans une mise en scène de Jean-Yves Ruf.
Avez-vous le trac lors des soirs de première ?
Bien sûr. J’ai tout un poème pour parler de ça. Le tract est mobilisateur. Quand l’acteur vit son jeu, c’est qu’il y joue sa vie, donc comment faire pour ne pas avoir le tract dans un tel moment ?
Comment passez-vous votre journée avant un soir de première ?
Au lit. Avec 39 de fièvre…Souvent inapte pour les raccords. Nausées répétées. Amnésie chronique au moment du lever du rideau.
Avez-vous des habitudes avant d’entrer en scène ? Des superstitions ?
Je m’imagine comme un moine au moment où je fais ma mise. Il y a complot, quelque part, au théâtre il y a toujours complot, et c’est nous qui le tramons. Alors quand je suis en train de faire ma mise, qui est comme mon petit rituel, j’imagine que la scène est la cour intérieure d’un cloitre. Et avant de faire advenir Dionysos, le Dieu de ce temple, je me vois comme un prêtre de Dionysos parsemer par tout, comme le petit poucet, des relais de magie.
« Les bougies magiques aussi du feu sacral. »
Première fois où je me suis dit « je veux faire ce métier ? »
Beaucoup de Marcel Carné, de Jacques Prévert, de Marcel Pagnol, de Jean Renoir,
Et toute la panoplie des acteurs d’une certaine époque, de Harry Baur à Arletty, en passant par Pierre Brasseur.
Et sans doute que la grande soupe magique dans laquelle comme des épices sont réunis tous ces artistes dans le cœur d’un enfant, fait qu’un jour on se sentirait inapte à être autre chose que soi-même un peu de ce pollen, de ces aromes, de ces épices.
D’autant que dans cette soupe magique c’est peut-être certains mots qui m’ont donné l’envie vraiment de faire le comédien. Et on se dit que ce genre d’individus, nous ont donné envie de ne plus considérer la vie hors de leur sillage à eux. Que nous même on se plait à continuer à creuser, et qui existe bien avant nous.
Premier bide ?
Mais je n’ai jamais fait aucun bide, moi….
Ou alors c’est l’inverse, on en rencontre tellement…
Chaillot. Je travaillais Hyppolite dans Phèdre.
Et je savais que le rôle était d’être, en même temps que très méfiant, très à l’écoute.
J’étais venu sur scène avec un pagne blanc et un petit glaive que je m’étais fait moi-même, et que j’avais peint de couleur argentée.
Cela m’a valu les foudres de la comédienne, car toute la classe au moment de son texte tragique, se tordait de rire. Je me suis ensuite fait affublé du surnom « Hyppolitor ».
Première ovation ?
Quand j’ai joué Victor Hugo dans Un soir Chez Victor H., je n’étais pas peu étonné de voir toute la foule (environ 150 personnes) debout, à la fin du spectacle, dans les jardins d’un Château du Cotentin ! Rappelons que le spectacle finissait par un déambulatoire.
Première fois sur scène avec une idole
Il y a peu. Je jouais Antigone de Lucie Berelowitsch, avec les Dakh Daughters à la Croix Rousse à Lyon.
J’ai eu l’insigne honneur d’être amené sur scène dans mon rôle d’aveugle de Tiresias par Nina, 5 ans ½, dont c’était les premiers pas sur scène.
Premier fou rire ?
Dans Chère Elena Sergueïevna. Un fou rire tenace qui nous a tenu pendant ¼ d’heure. Pascal Reneric qui jouait avec moi s’en rappellera je pense, Sa langue a fourché, il devait parler au moment où je déplorais d’avoir perdu ma bouteille de Porto, et il avait prononcé au lieu de « Comme ça tu marcheras droit » il avait prononcé « Comme ça tu marcheras droint ». On n’a pas pu tenir longtemps, d’autant que dans la mise en scène on était rattroupés entre nous. Ce fou rire tombait au moment d’une situation gravissime dans une Russie corrompue de Boris Eltsine.
Premières larmes en tant que spectateur ?
Devant Robert Hirsh. J’ai pleuré de peur. C’est un rare sentiment ça. Il entrait en scène dans Pozzo, et on eut dit qu’il allait tuer quelqu’un dans la salle.
Première mise à nue ?
Au sens propre ou figuré ?
Au sens propre et figuré !
Au sens figuré, Quand je me suis senti vraiment mauvais, au début de ma pratique à l’École de Chaillot, après avoir été le plus grand acteur que la terre aie jamais contemplé, mais ça, dans mon bahut.
Et à partir du moment où j’ai décidé que ce n’était pas grave d’être nul, que j’ai abandonné une volonté de justesse, pour m’emparer du moment présent. Car c’est toujours ce moment présent là qu’on révèle et qu’on intensifie.
Au sens propre, première mise à nue dans Elle de Jean Genet ; on répétait Salle Louis Jouvet au Conservatoire de Paris, mais pendant la répétition le grand placard dans lequel je devais faire mon entrée était fermé à clé, du coup je ne pouvais le répéter en amont. Pour mon entrée en scène j’étais court vêtu, en cardinal, avec une toge rouge, légère, et je devais faire un salto arrière à mon entrée en scène devant le personnage du photographe.
Au moment où les portes de placard se sont ouvertes pour mon entrée, le fin tissu s’est pris dans les lambris de la porte, et je suis apparu, d’abord les pieds, puis les jarrets, les genoux, les cuisses, et ensuite bien sûr tout le reste….
Première interview ?
Elle se fait avec Marc Darnault, un acteur qui avait 96 ans, qui avait été le premier à jouer le rôle que je jouais à ce moment-là, Victor ou les enfants au pouvoir, c’était donc le premier Victor et j’étais le dernier en lisse, et qui relatait cers premiers pas, quand il était monté à Paris dans les années 1910 et qu’il avait raté le conservatoire, et qu’il avait rencontré la troupe de Charles Dullin et d’Antonin Artaud, et qui l’avait mis en scène à l’époque, et moi je venais d’être mis en scène par Jean-Christian Grinevald, avec les enfants de Chaillot.
Premier coup de cœur ?
Quand j’ai vu au Théâtre de La Colline Décadence de Steven Berkoff, et que j’ai vu Christiane Cohendy. J’ai toujours eu un coup de cœur énorme pour cette actrice, qui joue «large », j’ai envie de dire, qui arrive à faire en sorte que les choses lui arrivent. C’est une grande magicienne, parce qu’elle arrive à faire comme si elle n’y était pour rien.
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