Hervé Pierre a quitté la Comédie-Française l’année dernière, après 15 ans dans l’institution. En 2019, avant la pandémie, il reprend avec Pierre Meunier, L’homme de plein vent, spectacle créé en 1996 sous le regard de Marguerite Bordat. Le spectacle arrive au Théâtre de la Bastille.
Avez-vous le trac lors des soirs de première ?
Comment ne pas avoir le trac ? C’est difficile de ne pas ressentir cette première rencontre avec le public comme un jugement sur notre travail et pourtant nous devrions être fort de ces semaines d’interrogations sur le texte, de connivences avec les partenaires et tous les collaborateurs du spectacle. J’essaie de rester dans le même geste, la même humeur, la première n’est que la continuité du travail commencé, il se poursuit avec les spectateurs.
Comment passez-vous votre journée avant un soir de première ?
Comme une journée normale, bien que les signes de l’imminence de la rencontre avec le public tendent peu à peu la relation avec les proches. La sensation d’être dans un entonnoir, un vortex qui vous emmène inexorablement à l’heure dite dans une contraction du temps et de l’espace. J’essaie de conserver mon calme, de rationaliser l’événement, de le débarrasser de son côté exceptionnel, je vis comme je peux, une journée normale.
Avez-vous des habitudes avant d’entrer en scène ? Des superstitions ?
J’avais l’habitude de revoir mon texte en me disant que c’était nécessaire de le faire pour ne pas le perdre en représentation. Mais de manière récurrente, les trous de texte me rattrapaient alors je fais semblant que tout va bien et tout semble aller mieux. Je n’ai pas de superstition si ce n’est peut-être celle-là.
Première fois où je me suis dit « je veux faire ce métier ? »
J’avais neuf ans, sous la table de la cuisine de mes parents, je regardais mes voisins de la troupe amateur dont mon père était le metteur en scène, et cet éblouissement a été confirmé par ma présence dans une pièce dans laquelle il m’avait confié le rôle d’un enfant de mon âge. J’ai su que j’avais trouvé l’endroit de mon épanouissement.
Premier bide ?
Au collège ! Je suis engagé pour animer une soirée dans laquelle des associations présentaient leurs activités. J’étais tellement sûr de moi, de ma drôlerie, de ma capacité à séduire…. J’ai subi ce jour-là une humiliation terrible.
Première ovation ?
J’ai vécu deux moments d’exaltation à la Comédie-Française, le premier ce sont les saluts de Peer Gynt après quatre heures de spectacle, Catherine Samie à mon bras, les spectateurs debout et le deuxième, la dernière représentation de La Vie De Galilée , ma dernière en tant que sociétaire, les spectateurs debout, les camarades me rejoignant sur le plateau, deux émotions très, très intenses, deux spectacles mis en scène par Éric Ruf.
Premier fou rire ?
Je ne me souviens pas du premier mais celui qui a été le plus long s’est produit au cours d’une représentation du Songe d’une nuit d’été de Shakespeare mis en scène par Jean-Louis Hourdin. Je jouais Bottom et dans la scène du mur, Christian Dente glisse le mouchoir par le trou du mur, constitué par les deux mains de Luc Schillinger et me le met dans l’œil. Devant le sérieux imperturbable de Luc, il était impossible de retrouver le calme, les spectateurs s’y sont mis et rien ne pouvait arrêter cette hystérie collective ! Le suivant, mémorable, se déroule pendant une représentation d’Oblomov mis en scène par Dominique Pitoiset. Gilles Privat se penche vers moi, son pantalon se déchire à l’entre-jambe…. Comment sortir de cette situation, surtout quand le fou-rire vous prend et que vous devez chanter en russe ?
Premières larmes en tant que spectateur ?
Je découvre pour la première fois un spectacle d’Alain Platel, c’est Wolf à l’opéra de Paris. Je sors en larme, bouleversé par la puissance humaine, poétique du spectacle. Les premières larmes, sans doute pas, mais celles dont je me souviens.
Première mise à nue ?
Je ne sais pas très bien ce que votre question suppose. Que nous nous révélons plus fragile, plus intime dans certains spectacles ? Oui, sans doute. Tout est une question de rencontre. Avec un texte, un personnage, un(e) partenaire, un(e) metteur en scène. Mais ces vibrations de l’intime agissent toujours, à chaque fois. Pour moi la dernière, c’est la rencontre avec Lars Noren et le personnage de Poussière qu’il avait mis en scène à la Comédie-Française. Un bouleversement artistique et personnel.
Première fois sur scène avec une idole ?
J’ai eu la chance incroyable, sur l’invitation de Jane Birkin, d’être sur le plateau de l’Odéon et en tournée avec Michel Piccoli et elle, dans un spectacle où nous partagions les chansons de Serge Gainsbourg. Cette lecture a été d’une grande émotion, c’était une des dernières fois où Michel Piccoli arpentait une scène de théâtre.
Première interview ?
J’espère que vous ne m’en voudrez pas si je vous dis que je ne m’en souviens pas ?
Premier coup de cœur ?
Je suis lycéen à Pontarlier dans le Haut-Doubs. Mon professeur Pierre Louis me fait découvrir en Suisse un spectacle d’un jeune metteur en scène, Jean-Pierre Vincent, La Cagnotte de Labiche. Je ne le sais pas encore mais tous ceux que je vois jouer seront mes maîtres trois ans plus tard. Et puis dans le même moment, Jacques Vingler, qui était responsable jeunesse et sport, puis premier directeur de l’Espace Planoise à Besançon, organise un voyage à Paris et je découvre 1789 et 1793 du théâtre du Soleil. Un choc visuel, un choc émotionnel, une découverte de ce que peut être un théâtre populaire, une fête de l’intelligence, une joie partagée.
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