Avec Ceci est mon corps, Agathe Charnet impose une plume vive, un geste de mise en scène percutant et deux interprètes galvanisantes pour porter ce récit de vie à cent à l’heure, imbibé d’autofiction, de pop culture et de sociologie de genre.
L’histoire d’une femme née à l’orée des années 90 qui se raconte à partir du vécu de son corps. Corps d’enfant, de jeune fille puis de femme, corps assigné, corps contraint, corps hésitant, corps violenté, corps désirant, corps amoureux, corps lesbien… Et de tous ces états de corps traversés, c’est un chemin de connaissance et d’émancipation qui se dessine, un regard qui se livre, une voix qui s’affirme.
2022 marque un tournant dans la trajectoire d’Agathe Charnet. Année de bascule où elle monte sa propre compagnie, La Vie Grande, en codirection avec Lillah Vial, année où elle entre en mise en scène et publie sa première pièce. Sacrées étapes. L’année de ses 30 ans qui plus est, bien bel âge pour assumer et partager une œuvre qui résonne comme un manifeste : Ceci est mon corps. Un acte de création gorgé de vie, d’espoir et d’envies, branché à la source de sa propre expérience, de ses lectures et réflexions personnelles pour s’offrir sur l’autel scénique de l’universel. Porter au plateau nos récits évacués par l’Histoire. Dire haut et fort que nos histoires sont dignes d’être représentées. Que nos « petites » histoires en valent bien d’autres, qu’elles ont du panache et de la grandeur, pourvu qu’on les écoute, qu’on leur accorde du crédit et de l’attention.
Fille de professeurs (de philosophie et de littérature et culture générale), Agathe Charnet enquille les lectures et les études. Multi-diplômée (Master à l’Ecole de Journalisme de Sciences Po, Licence de Lettres Modernes et Maitrise de recherche en Lettres Arts et Pensée Contemporaines, Master en sociologie du genre à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales), elle officie d’abord en tant que journaliste en presse écrite et radio avant de se tourner définitivement vers le théâtre après une formation au Conservatoire du Xème arrondissement suivie par un cursus complémentaire au Studio de Formation Théâtrale de Vitry-Sur-Seine. Elle fait ses armes au sein du collectif Avant l’Aube et au grès de stages en mise en scène. Ce qui lui importe avant tout : le dialogue et la confrontation des points de vue, essentielle à ses yeux. Tout comme la question des réceptions du public, indispensable à prendre en compte. Selon elle, on ne peut plus se passer de penser la place du public, de réfléchir à l’adresse, trouver le chemin de l’écoute et d’en faire un cheval de bataille, le nerf de la guerre. Ceci est mon corps, messe queer et pop qui s’ouvre d’ailleurs à une dimension participative et festive, connaît un engouement générationnel réjouissant, reflet de la place manquante qu’il vient combler.
Adolescente, s’abreuvant à la source de la bibliothèque parentale bien fournie, Agathe se souvient de l’impression amère de ne pas se reconnaître dans les romans classiques. Dans ce marasme de miroir féminin, la lecture d’ Une Promenade au phare de Virginia Woolf a tenu lieu de révélation. « J’ai senti qu’il y avait une voix qui me ressemblait, une façon d’être au monde que je comprenais ». Au théâtre, ses « phares » comme elle les appelle justement, sont Pauline Bureau et Lorraine de Sagazan (dont elle était la dramaturge sur Un Sacre) qui lui ont ouvert la voie, permis d’envisager d’autres possibles. Adepte d’une dramaturgie très active, faite d’enquêtes de terrain autant que de lectures tous azimuts, fruit de son parcours universitaire éclectique, Agathe Charnet fonctionne par cycles de recherche.
Avec Lillah Vial, sa complice, elles avancent de projet en projet par thématique. Après avoir abordé les genres, elles s’engagent dans un nouveau cycle intitulé « Habiter le monde » qui porte son attention sur le vivant, en particulier les forêts. Ce spectacle ambitieux à venir, conçu comme une fresque musicale, verra le jour en 2024. Pour cette création intitulée Nous étions la forêt, Agathe sera en résidence d’écriture à la Chartreuse en mars prochain après un gros travail d’exploration fait de rencontres, documentation, immersion… En parallèle, elle participe à la création d’un festival éco-féministe en Normandie, « Avec nous le déluge ». Elle est également l’une des plumes militantes de l’ouvrage collectif « #Me too Théâtre », écho à ses valeurs et à son engagement. En attendant son nouvel opus, Ceci est mon corps poursuit sa route et sa tournée normande…
Portrait publié en décembre 2022 lors du palmarès de Marie Plantin – www.sceneweb.fr
Le générique de Ceci est mon corps
Le Palmarès de Marie Plantin cette année est à 99% féminin
Le spectacle splendeur, magistral et puissant : Le Firmament de Lucy Kirkwood dans une mise en scène au cordeau de Chloé Dabert
Le spectacle bouleversement : King Lear Syndrome ou les mal-élevés de et mis en scène par Elsa Granat (qui revient au TGP où il a fait ses premiers pas en janvier)
Le spectacle éco-féministe hilarant : Encore plus, partout, tout le temps du Collectif L’Avantage du Doute
La créatrice poil à gratter : Séverine Chavrier pour Ils nous ont oubliés d’après « La Plâtrière » de Thomas Bernard, Aria da Capo avec des ados et « After All » avec la promotion du CNAC.
La Compagnie naissante qui impose sa patte : TORO TORO, drivée à quatre mains par Margot Alexandre et Nans Laborde-Jourdàa, à l’origine de Polyester et Duet, deux créations drôles et tendres où l’imaginaire se taille la plus belle part du gâteau
Le spectacle pour ados qui envoie du lourd, des petits pois et de la mayo et se digère très bien contre toute attente : Plutôt vomir que faillir de Rébecca Chaillon
Le spectacle jeune public jeu de piste écologique et philosophique : Pister les créatures fabuleuses d’après Baptiste Morizot, mis en scène par Pauline Ringeade (qui revient lui aussi au TGP en janvier)
Les comédiennes merveilles : Eléonore Auzou-Connes, Bénédicte Cerutti, Anouk Grinberg, Rachel Arditi (impossible d’en choisir une seule !)
Le duo Waouh : Suzanne de Baecque et Raphaëlle Rousseau dans Tenir debout, immersion chez les miss pas piquée des hannetons
Le seul en scène roboratif : Sarrazine qui doit tout à son quatuor féminin depuis l’inspiratrice Albertine Sarrazin jusqu’à la comédienne qui l’incarne Nelly Pulicani en passant par l’autrice qui la ressuscite, Julie Rossello Rochet et la metteuse en scène qui dirige le tout, Lucie Rébéré
L’autrice/metteuse en scène/comédienne à suivre : Agathe Charnet
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