A l’Opéra Comique, Sabine Devieilhe retrouve l’un de ses plus grands rôles, Lakmé de Delibes, dans lequel elle fait merveille et irradie malgré la pâleur de la production scénique.
Sur la scène de l’Opéra-Comique où elle avait déjà chanté le rôle en 2014 sous la direction de François-Xavier Roth et dans une mise en scène de Lilo Baur, l’artiste confirme une totale affinité avec l’œuvre et son héroïne dans lesquelles elle paraît éblouissante de maîtrise et de sensibilité. Très investie sur le plan vocal comme émotionnel, elle explore subtilement toutes les facettes de Lakmé et, sans une once de superficialité, passe de la candeur et la jovialité enfantines à l’amour passionné puis au recueillement sacrificiel. Aigus lumineux et chant cristallin sont les atouts charme qu’elle prête au personnage, véritable incarnation de pureté.
Parmi les moments les plus attendus : le célèbre Air des clochettes est transcendé car porté à des sommets de dramatisme et de vérité musicale et théâtrale. Postée sur le bois maigre et nu d’une charrette qui lui sert d’estrade et habillée en quasi haillons, la soprano colorature vocalise tout en donnant une profondeur saisissante à la légende qu’elle raconte avec une abnégation pathétique et bouleversante d’épanchement las.
L’officier anglais dont elle est éprise est Frédéric Antoun. Ses moyens vocaux se sont quelque peu durcis et obscurcis mais n’empêchent de belles envolées lyriques. Ensemble, ils délivreront une fin poignante sur un champ de lotus blanc à l’occasion d’une cérémonie ritualisée.
La nouvelle production présentée n’est pourtant pas des plus inspirantes ou inspirées. Elle voudrait faire fi de l’exotisme de folklore qui colle à Lakmé, la privant ainsi de ses chatoyantes couleurs enchanteresses au profit d’une monotonie blafarde et d’une épure, parfois poétique, mais le plus souvent d’une triste fadeur. Pour autant, le fantasme d’orient n’en est pas absent, car si l’imagerie convoquée s’éloigne des temples hindous, c’est pour se diriger vers un monde flottant assez japonisant.
Nichée dans un sanctuaire de papier buvard couleur laiteuse et virginale, dont la fragile impénétrabilité est symbolisée par une longue fissure, Lakmé, se présente d’abord comme la captive de son père, Nilakantha, un brahmane a l’allure de bonze colossal – Stéphane Degout au timbre aussi sévère que velouté est impeccable de charisme et d’autorité – puis elle évolue dans un monde tout blanc et quasi immatériel dont les habitants arborent un teint blafard et semblent tout droit tirés du butô. En total contraste, les colons anglais paraissent sombres et étriqués sous un trait assez caricaturé. Parmi eux, Mireille Delunsch se plaît comme un poisson dans l’eau.
Si globalement le travail de plateau réalisé par Laurent Pelly passe pour assez sommaire, c’est l’exact opposé en fosse où Raphaël Pichon à la tête de son Ensemble Pygmalion régale d’une direction foisonnante, jamais mièvre, bien plus mordante, aussi raffinée qu’exaltée, toujours attentive à l’expression et à la tension dramatique, répondant bien au souhait de faire entendre la modernité de Lakmé.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Lakmé
Opéra-comique en trois actes de Léo Delibes
Livret d’Edmond Gondinet et Philippe Gille
Créé en 1883 à l’Opéra ComiqueDirection musicale Raphaël Pichon
Mise en scène Laurent Pelly
Avec Sabine Devieilhe, Frédéric Antoun, Ambroisine Bré, Stéphane Degout, Philippe Estèphe, Elisabeth Boudreault, Marielou Jacquard, Mireille Delunsch, François Rougier
Choeur et orchestre PygmalionFigurants
Matthieu Baquey, Laura Bauchet, Hugo Collin, Wadih Cormier, Côme Fanton d’Andon, Lina Fradin, Tien Le, Xavier PerezProduction
Opéra ComiqueCoproduction
Opéra national du RhinCoproduction
Opéra Nice Côte d’AzurDurée : 2h40
Opéra Comique
du 28 septembre au 8 octobre 2022Diffusion en direct sur Arte Concert le 6 octobre à 20h.
Diffusion sur France Musique le 22 octobre 2022 à 20h.
Beau spectacle sur le plan vocal, au premier chef le jeu emouvant de Lakme et magistral de son père, ainsi que de l’orchestre. Mais pourquoi ce parti pris de blancheur et cette Lakme scandinave albinos ? Recherche un peu outrée d’ intemporalité et d’ indifferentiation géographique ?