En réponse à une carte blanche offerte par La Colline, le Collectif OS’O crée avec Boulevard Davout sa première pièce dans l’espace public. Faute de creuser l’Histoire et les particularités du morceau de XXème arrondissement sur lequel il a jeté son dévolu, ses contes fantastiques manquent de l’ampleur nécessaire pour offrir davantage qu’une promenade sympathique.
Depuis sa création en 2011, le Collectif OS’O composé de Roxane Brumachon, Bess Davies, Mathieu Ehrhard, Baptiste Girard et Tom Linton, ne cesse d’explorer des manières nouvelles de créer à plusieurs. Dès son premier spectacle, L’Assommoir, l’invitation d’artistes extérieurs au groupe s’impose pour lui comme une manière d’échapper au confort de l’entre-soi, de ne jamais s’installer dans un type de récit ou une esthétique pour rester dans la recherche, dans l’interrogation. Après avoir foulé avec le metteur en scène berlinois David Czesienski le sol du Paris ouvrier de Zola, et l’avoir retourné avec une liberté qui deviendra son unique ligne de conduite, OS’O se met avec Timon/Titus (2014) dans les pas de Shakespeare. Pour Pavillon Noir (2018), les cinq artistes s’associent avec le collectif d’auteurs et d’autrices Traverse, tandis que pour leur mise en scène de X d’Alistair McDowall, ils mettent entre les mains de Vanasay Khamphommala la traduction, la dramaturgie et la direction d’acteurs.
Lorsqu’en hiver 2021, en plein deuxième confinement, Wajdi Mouawad propose au collectif de créer un spectacle déambulatoire inspiré du XXème arrondissement de Paris, c’est donc tout naturellement qu’il cherche de nouveaux partenaires. Il les trouve en la personne de l’autrice et dramaturge Olivia Barron, et parmi les comédiens amateurs de l’association Plus Loin, implantée depuis plus de 30 ans sur le territoire où OS’O a pour mission d’œuvrer. Cela avec l’accompagnement de l’équipe des relations publiques de La Colline, pour qui l’expérience est aussi neuve et singulière que pour le collectif, dont le théâtre avait déjà débordé les salles – avec des pièces jeune public tout-terrain et le spectacle-repas Le Dernier Banquet –, mais jamais investi l’espace public. Cette étrangeté par rapport à la Ville, et plus particulièrement au Boulevard Davout, le collectif dit avoir voulu la conserver dans son spectacle.
Cette intention se dilue hélas très vite dans les trois histoires qui composent la proposition. Après un prologue porté par Baptiste Girard, où il est question d’un « cumulonimbus gigantesque », autrement dit d’une tempête qui aurait dévasté le quartier la nuit précédente, des guides munis de parapluies mènent le public divisé en trois groupes dans différents lieux : le toit de la piscine Yvette Godard, un espace en friche coincé dans une cité et les abords d’un stade. Dans ces points de rendez-vous qui sont autant d’interstices urbains, de lieux sans utilité précise, des comédiens d’OS’O et de l’association Plus Loin, accompagnés d’un artiste de la Jeune troupe de La Colline (Gabriel Washer) apparaissent et incarnent des personnages qui n’ont en commun qu’un certain égarement. Inspirées de nombreuses légendes urbaines – notamment celles dont Jacques Yonnet a peuplé son livre Rue des Maléfices –, dans lesquelles le collectif a cherché les bases d’une théâtralité, les histoires de Boulevard Davout laissent toutefois peu de place à la Ville, à ses hasards.
Les trois parties de la déambulation présentent des protagonistes dont le rapport à la cité est problématique. Mais elles le font d’une manière si écrite, si peu ouverte à l’improvisation, que cette difficulté à faire avec l’espace urbain, en particulier avec la question du logement, fait figure de fil rouge assez artificiel. L’homme au bord du suicide (Tom Linton) et la sans-abri aux pouvoirs surnaturels (Neva Bonachera) qui le sauve de lui-même, la promotrice immobilière (Roxane Brumachon) investissant dans un immeuble maudit et l’architecte idéaliste (Gabriel Washer), ou encore l’homme vivant dans sa voiture et les diverses personnes qu’il rencontre nous mènent d’un endroit à l’autre du Boulevard Davout sans questionner sa spécificité, sans tenter de révéler ce qui le rend à nul autre pareil. Si par l’irruption d’un zonier (Mathieu Ehrhard), le dialogue entre la promotrice et l’architecte évoque une époque où le terrain de jeu d’OS’O n’appartenait pas à Paris mais à ses faubourgs, ce n’est que d’une manière anecdotique, avant de repartir dans une fiction qui pourrait s’ancrer n’importe où.
Les nombreuses rencontres qu’ont fait les artistes d’OS’O avec des habitants du Boulevard ne sont guère plus sensibles dans leur pièce que leurs recherches sur l’histoire du quartier. Si l’on devine que des personnes interrogées ont pu inspirer les trois co-auteurs du spectacle – avec Olivia Barron, Mathieu Ehrhard et Tom Linton en signent le texte –, aucun frottement entre réel et fiction n’en témoignent. L’absence de liens entre les trois histoires de Boulevard Davout témoigne de cette difficulté qu’on eue les artistes à créer à partir et dans un tissu urbain et narratif extrêmement dense. Plutôt que d’amoindrir la distance qui sépare chaque fragment, la tempête racontée en prologue et régulièrement évoquée la souligne. S’il manque de profondeur, le moment que nous passons avec OS’O n’est toutefois pas sans agrément. Celui de la balade, et du jeu qui profite de la belle rencontre entre professionnels et amateurs.
Anaïs Heluin – ww.sceneweb.fr
Boulevard Davout
un spectacle du Collectif OS’O
texte Olivia Barron, Mathieu Ehrhard, Tom Linton, Wajdi Mouawad
conception Olivia Barron, Roxane Brumachon, Bess Davies, Mathieu Ehrhard, Baptiste Girard, Tom Lintonavec Neva Bonachera, Roxane Brumachon, Bess Davies en alternance avec Noura Lapalus, Philippe Dormoy, Mathieu Ehrhard, Baptiste Girard, Tom Linton, Esdras Registe et Gabriel Washer de la Jeune troupe de La Colline
dramaturgie Olivia Barron
costumes Aude Desigaux
scénographie Morgane Le Dozeproduction
Le Collectif OS’Ocoproduction
La Colline – théâtre nationalDurée 1h50
du 28 septembre au 16 octobre 2022 au jardin Serpollet, Paris 20e
spectacle déambulatoire à partir de 10 ans
du mercredi au vendredi à 18h30, samedi à 14h30 et 18h30 et dimanche à 11h et 15h
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