À la Comédie-Française, Laurent Delvert adapte et met en scène une œuvre méconnue de George Sand. Il fait découvrir le parcours contrarié d’une singulière héroïne sans parvenir à pleinement captiver.
En dépit des difficultés liées à l’énorme conséquence de son format livresque, à sa langue très littéraire, à son romantisme échevelé, Gabriel de George Sand se présente comme une œuvre diablement pertinente à porter au plateau aujourd’hui. Entre roman et théâtre, le texte, intégralement rédigé sous une forme dialoguée, recèle d’un soufre capiteux et d’une évidente contemporanéité qu’on aurait tort de négliger. Ce n’est sans doute pas la trop sage version proposée sur la scène du Vieux-Colombier qui, malgré ses qualités, permet de voir totalement restituée la portée subversive et actuelle d’une aussi détonante partition.
Au centre de son intrigue : une jeune personne née fille mais qui, tenue volontairement dans la solitude et l’ignorance de son sexe par un strict grand-père et un orgueilleux abbé, reçoit l’éducation dispensée aux garçons. L’ingénu Chérubin choisit de mener sa vie en homme pour demeurer libre et échapper au couvent. On voit évidemment dans ce personnage un écho à l’autrice qui fit scandale à son époque en promouvant l’hybridité du genre et en affichant un patronyme aussi masculin que son accoutrement. Quand Gabriel se présente en qualité de prince à son cousin, le comte Astolphe de Bramante dont elle découvre l’existence dans une geôle malfamée, celui-ci en tombe soudainement amoureux et orchestre une mascarade au cours de laquelle il la travestit en femme. C’est le point de départ d’une relation hors-norme.
Périlleuse à jouer et à mettre en scène, l’intrigue permet à George Sand de dépeindre les troubles sentimentaux et identitaires de figures fictionnelles en examinant les codes d’une société bien réellement conservatrice et de défier tous les déterminismes. S’y expriment de manière jamais convenue l’ambivalence du désir, la soif d’affranchissement et la question de la marginalité.
Son personnage éponyme est campé par Claire de La Rüe du Can, une actrice naturellement dotée d’une belle vivacité. A ses côtés, Yoann Gasiorowski est également fin et juste. L’un et l’autre forment un couple qui aimante toute l’attention, surtout que continuellement présents sur le plateau, les personnages secondaires manquent d’étoffe. En cause, un trop relatif engagement des acteurs. On pourrait réclamer un jeu plus fauve, plus fiévreux, plus incandescent, pour rentrer pleinement dans le vertige de l’œuvre. C’est une approche contraire qu’a choisie Laurent Delvert privilégiant une propre sobriété et une certaine froideur clinique au risque de paraître un peu atone et trop dépassionnée.
La représentation s’inscrit dans l’élégante semi-abstraction d’une scénographie labyrinthique plongée dans le temps suspendu d’une nuit obscure et obsédante jusqu’à son dénouement funeste et funèbre. Plutôt que de vivre une véritable émancipation personnelle, Gabriel, prise au piège des carcans d’une société patriarcale et policée, suit une tragique descente aux enfers.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Gabriel de George Sand
Mise en scène de Laurent Delvert
avec
Anne Kessler,
Alain Lenglet,
Alexandre Pavloff,
Christian Gonon,
Claire de La Rüe du Can,
Yoann Gasiorowski,
Birane Ba,
Elisa Erkaadaptation
Laurent Delvert
Aurélien Hamard-PadisDramaturgie : Aurélien Hamard-Padis
Scénographie : Philippine Ordinaire
Costumes : Vanessa Sannino et Fanny Brouste
Lumières : Nathalie Perrier
Son : mme miniature
Assistanat à la mise en scène : Sandra ChoquetDurée : 2h
Théâtre du Vieux-Colombier
du 21 septembre au 30 octobre 2022
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