Au Studio-Théâtre de la Comédie-Française, le comédien rend hommage à l’ancien maire d’Aubervilliers. Malgré son minimalisme formel, ce seul en scène restitue, avec finesse, les confessions d’un amoureux du théâtre et de la chose publique.
Ils sont peu nombreux les hommes qui, tel Jack Ralite, auront à ce point marqué leur époque, leur fonction et leur ville. Maire communiste d’Aubervilliers pendant plus de 20 ans, cet ancien journaliste à L’Humanité aura été de toutes les batailles politiques, sociales, mais aussi culturelles. Député, sénateur, ministre de la Santé puis de l’Emploi de François Mitterrand, l’instigateur des Etats généraux de la culture en 1987 pourrait passer, a priori, pour un énième apparatchik. Il fut au contraire un inlassable révolté, avec la chose publique, bien plus que sa carrière, chevillée au corps. Pour mieux comprendre ce qui innervait la pensée, et alimentait les combats, de cette figure si particulière, Karelle Méline a engagé un dialogue avec lui, juste avant sa mort, en novembre 2017. De cette rencontre, est née La Pensée, la Poésie et le Politique, duquel Christian Gonon s’est emparé pour construire son « Singulis ».
Ce triptyque, le comédien-français le déploie à l’envi, tant il constitue le fondement de l’engagement et de l’action de Jack Ralite. Homme politique comme notre époque n’en fait plus, il ne conçoit pas le politique sans la culture, la pensée sans la poésie, la bataille sociale sans la bataille culturelle. Amoureux du théâtre depuis son adolescence, co-créateur du Théâtre de la Commune d’Aubervilliers, il fut un ardent défenseur du milieu artistique, qu’il se désespérait de voir peu à peu grignoter, marginaliser, par les différents gouvernements successifs. Confessions plus que mémoires, son dialogue avec Karelle Méline révèle, au-delà de sa passion pour les artistes, son tropisme, vital, pour la poésie. Au gré de ses pérégrinations dans son for intérieur, il ne peut s’empêcher de citer, ou de réciter, Aragon ou Hugo, Saint-John Perse ou Baudelaire, Char ou Vilar. Non pas comme des coquetteries intellectuelles, mais comme des compagnons de route, des éclaireurs, qui balisent son chemin et sa pensée.
En costume et sandales, Christian Gonon s’approprie ses mots avec la finesse et la délicatesse de ceux qui veulent respecter la simplicité de leur hôte, et ne surtout pas en faire trop. Sa mise en scène est minimaliste, presque rudimentaire. Sur le petit plateau vide du Studio-Théâtre, ne subsistent qu’une chaise et un petit bureau, sur lequel trônent quelques livres, des feuilles de papier et une lampe, que Gonon-Ralite allume lorsque vient le temps d’adresser une lettre au Président de la République. On aurait sans doute aimé de la part du comédien plus de fougue, d’audace, qu’il dépasse le rôle de passeur qu’il s’est assigné pour offrir à la pensée de Jack Ralite la puissance généreuse qui lui revient, et donner un supplément d’âme qui justifie, au-delà de l’hommage, son adaptation théâtrale. Pour autant, son pari sans fioritures fonctionne car il met le texte au premier plan, le donne à entendre clairement et en restitue l’essence. A l’écoute, il constitue même une bulle d’air rassérénante à une heure où, peut-être plus que jamais, la culture est menacée. Preuve que les mots du passé, souvent, viennent panser les plaies du présent.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
La Pensée, la Poésie et le Politique (Dialogue avec Jack Ralite)
de Karelle Ménine et Jack Ralite
Conception et interprétation Christian Gonon
Lumières Philippe Lagrue
Musique originale Jérôme Destours
Collaboration artistique Alain Lenglet
Avec les voix de l’ensemble des comédiens de la troupe et de l’académie de la Comédie-FrançaiseLe texte est publié par Les Solitaires Intempestifs
Durée : 1h10
Studio-Théâtre de la Comédie-Française, Paris
du 14 au 31 octobre 2020, à 18h30
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