Christian Benedetti : « On ne peut pas faire le malin avec Tchekhov ! »
Christian Benedetti a été le premier metteur en scène en France à monter Sarah Kane, il entretient une longue amitié avec Edward Bond, mais depuis plus de 10 ans il vit avec Tchekhov. Année après année, il a mis en scène toutes ses grandes pièces, et pour un intégrale qu’il nomme 137 évanouissements, il y a ajoute les pièces en un acte.
Cela fait des années que vous évoquez cette intégrale. Après plusieurs reports liés à la pandémie, le projet voit le jour, non pas au Théâtre de l’Athénée, mais chez vous, au Théâtre-Studio à Alfortville.
C’est finalement pas plus mal que ce soit à la maison. Le théâtre de Tchekhov est une petite maison soutenue par quatre cordes suspendues qui risquent de se rompre. Notre théâtre, c’est un peu ça. Tchekhov raconte toujours des histoires qui se passent dans des maisons. Notre théâtre devient d’une certaine façon sa maison pour une intégrale. Je préfère que l’on dise une intégrale, plutôt que l’intégrale qui sonne un peu universitaire. C’est notre intégrale et l’équipe d’acteurs qui travaillent avec moi pour certains depuis 12 13 ans peut regarder comme ils ont traversé cette œuvre, comment leur vie s’est entremêlée avec ces pièces.
Pourquoi 137 évanouissements ?
Quand Meyerhold avait monté La noce, L’ours, La demande en mariage et Le jubilé, il avait appelé le spectacle 33 évanouissements parce qu’il avait répertorié 33. Et quand j’ai repris l’œuvre, je me suis aperçu qu’effectivement il y a avait de quoi s’évanouir 137 fois. L’évanouissement, ce n’est pas forcément tomber dans les pommes, c’est aussi une façon élégante de disparaître, de s’évanouir dans la nature. Et c’est aussi une façon aussi de résister. C’est quelque chose de passionnant de convier les spectateurs à s’évanouir avec nous.
Cette aventure a débuté avec La Mouette, en 2010. Quel chemin parcouru. Pensiez vous aller jusqu’au bout ?
C’était le début de l’aventure et c’était censé être mon dernier spectacle. Je revenais à la maison d’une certaine façon car j’avais monté La Mouette en sortant du Conservatoire, c’était ma première mise en scène à Paris. A l’époque cela m’a libéré de toute une série de contraintes que je trouvais indépassables après travaillé 15 ans sur des auteurs contemporains comme Edward Bond ou Sarah Kane. Je me sentais beaucoup plus libre et finalement mieux armé pour questionner Tchekhov car il demande au metteur en scène de se mettre en retrait. On ne peut pas faire le malin avec lui. Il faut être très précautionneux parce qu’il a toujours le dernier mot sur nous. Il y a des citations, des références. C’est ce que j’appelle des collisions signifiantes. Tchekhov, c’est probablement pour moi le plus grand théâtre du monde. Alors je suis content d’achever cette intégrale.
Tchekhov : comédie ou drame ?
Il a été le premier à inventer la notion de drame. Il demande au spectateur de prendre partie par rapport à la fiction qu’il voit, pas simplement de la recevoir de façon digestive. Est ce qu’on doit tuer les jeunes ? Est ce que les vieux ont raison ? C’est pour ça que j’appelle cela des drames même si ce sont des comédies qu’il décrit. Il ne faut pas faire la confusion. Ça nous oblige à toujours faire un pas de côté, qu’on soit toujours aux aguets, jamais tranquille. Il y a eu une superposition entre le rôle et l’acteur. C’est ce qui se passe dans notre intégrale. On est devenu une bande et ils se nouent des histoires en coulisse. Et donc, ça devient passionnant à faire. C’est une construction qui est démente.
En quoi Tchekhov a-t-il été précurseur ?
Il met sur la scène tous les outils que le cinéma va utiliser plus tard. C’est le premier qui écrit par acte et non plus par scènes. C’est très réjouissant de voir un auteur qui dynamite et dit la vérité des êtres, qui parle d’une société qui est complètement hystérisé par le fric, par l’antisémitisme, par une espèce de frénésie où l’objet ultime, c’est le rouble. Dans Ivanov, tout est question que d’argent. On trafique, c’est hallucinant. C’est une espèce de libéralisme fou. Les événements historiques se répètent sans talent. Ce me me touche énormément et me tord le cœur, c’est ce qui se passe dans l’actualité. Poutine envahit l’Ukraine. C’est le pays de Tchekhov. On a décidé de dire Kharkiv et non Kharkov en hommage à ça. C’est très bouleversant de se dire qu’à cet endroit des gens se font massacrer. Il n’y a pas de fiction, ça fait réfléchir sur le théâtre. En même temps, il faut pas faire de sentimentalisme, il faut être offensif et résister.
Propos recueillis par Stéphane CAPRON – www.sceneweb.fr
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