Une Crise de nerfs à marche forcée
Après Labiche, Beckett et Molière, Peter Stein confie à Jacques Weber trois « farces » de Tchekhov au Théâtre de l’Atelier. Loin de sa splendeur d’antan, le metteur en scène maquille, au lieu de révéler, leur acuité.
Comme une alliance de deux monstres sacrés. Depuis la création en 2013 du Prix Martin d’Eugène Labiche au Théâtre de l’Odéon, Peter Stein et Jacques Weber poursuivent leur compagnonnage qui les a conduits, pêle-mêle, sur les rivages de Beckett (La Dernière bande), de Molière (Le Tartuffe) et, aujourd’hui, de Tchekhov. Plutôt que d’offrir au comédien à la voix toujours tonnante l’un des grands rôles du répertoire tchekhovien, le metteur en scène allemand a préféré s’aventurer du côté des pièces en un acte, moins connues, mais non moins facétieuses, du dramaturge russe. Regroupées sous le titre Crise de nerfs, Le chant du cygne, Les méfaits du tabac et Une demande en mariage ont en commun une forme, celle plus ou moins stricte du monologue, mais aussi un fil rouge, celui de la crise existentielle, qui guide autant qu’il transperce les personnages.
Au long de ce triptyque de précipités théâtraux, se succèdent, comme on passerait le flambeau, un comédien qui, ivre, sur la scène d’un théâtre vide, tire un bilan bien sombre de sa carrière crépusculaire, un homme qui, plutôt que de donner une conférence sur le tabac, s’épanche sur la soumission conjugale dont il est victime, et un prétendant qui, paralysé par la demande en mariage qu’il entend faire, se querelle pour des broutilles avec ses futurs fiancée et beau-père. Sous leurs airs modestes – pour peu qu’on les compare aux chefs-d’oeuvre de Tchekhov (Les Trois Soeurs, La Cerisaie, Oncle Vania, Ivanov…) – ces trois « farces » renferment, en réalité, l’essence même du théâtre tchekhovien, celle d’une impossibilité d’être au monde de personnages qui, toujours, et de façon bouleversante, débordent d’humanité.
Sauf que Peter Stein semble avoir perdu de sa maestria pour, comme il a su le faire par le passé, révéler cette belle acuité. Au lieu d’aborder ces textes avec la finesse qu’ils exigent, de s’échiner à les interroger, le metteur en scène allemand déroule et procède à marche forcée. Dans un décor sorti d’un autre temps, plus ringard que rétro, il momifie ces joyaux méconnus et les recouvre d’un vernis farcesque – jusque dans les perruques et les costumes – qui en dissimule la profondeur. Sans travail de lecture minutieux, il devient difficile de déceler les enjeux, le sous-texte et l’intérêt de ces « farces » qui occupent pourtant une place très particulière dans l’oeuvre de Tchekhov, comme creuset de ses pièces plus matures.
Livrés à eux-mêmes, les trois acteurs font alors ce qu’ils peuvent pour combler le vide et activer, malgré tout, le substrat tchekhovien. Las, dans les deux premières pièces, Jacques Weber, presque seul en scène, patine et cabotine jusqu’à écraser le texte de sa présence, toujours aussi impressionnante. A force d’être grimé, le côté fin, précis et ciselé de la langue de Tchekhov, qu’André Markowicz et Françoise Morvan s’étaient, dans leur traduction, efforcés de conserver, ploie et se dérobe. Un temps plus convaincant, le duo formé dans Une demande en mariage par Manon Combes et Loïc Mobihan grossissent, à leur tour, à mesure que la pièce avance, un trait qui n’en avait nul besoin. Comme si tous, Peter Stein en tête, n’avaient pas su trouver les clés pour accéder au trésor tchekhovien et avaient été contraints d’en forcer la serrure.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Crise de nerfs – 3 farces d’Anton P. Tchekhov
Le Chant du cygne, Les Méfaits du tabac, Une Demande en mariage
Mise en scène Peter Stein
Avec Jacques Weber, Manon Combes, Loïc Mobihan
Texte français André Markowicz et Françoise Morvan
Scénographie Ferdinand Woegerbauer
Assistante à la mise en scène Nikolitsa Angelakopoulou
Costumes Anna Maria Heinreich
Perruques Cécile Kretschmar
Son Allan Hove
Lumières David Maul
Accessoiriste Amina RezigProduction Théâtre de l’Atelier
Co-production Théâtre Montansier – Versailles, Horatio Productions, Le Radiant-Bellevue – Caluire/LyonDurée : 1h50
Théâtre de l’Atelier, Paris
du 18 décembre 2020 au 31 janvier 2021
les vendredis et samedis de décembre à 19h, le dimanche à 17h ; et les mercredi 30 et jeudi 31 à 19h
du samedi 2 au samedi 9 janvier : du mardi au samedi à 19h, le dimanche 3 à 17h
du 20 au 31 janvier : du mardi au dimanche à 21h
Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !