Le metteur en scène Léo Cohen-Paperman poursuit avec Vie et mort de J.Chirac, roi des Français une série de portraits des huit présidents de la Ve République. Un très réjouissant début, qui questionne notre rapport au politique et, plus largement, à la représentation.
Ludovic Müller a bien des points communs avec l’auteur et metteur en scène Léo Cohen-Paperman. L’un est né en 1989, l’autre en 1988, et tous les deux sont metteurs en scène d’un spectacle sur Jacques Chirac. Le même Ludovic n’est pas non plus sans ressemblances avec l’auteur et comédien Julien Campani, complice de longue date de Léo Cohen-Paperman et cofondateur avec lui du festival Nouveau Théâtre Populaire (NTP) à Fontaine-Guérin. Eux aussi sont de la même génération : celle qui a vécu son enfance sous la présidence de l’homme politique qui occupe les deux artistes dans Vie et mort de J.Chirac, roi des Français, partie d’une série de huit pièces intitulée Huit rois (nos présidents) dont l’objectif est de « peindre le portrait des huit présidents de la cinquième République, de Charles de Gaulle à Emmanuel Macron ». Portraits qui, on l’aura compris, se nourrissent beaucoup de leurs parcours personnels, de leurs réflexions d’artistes de théâtre d’aujourd’hui.
Peut-être, comme le comédien Ludovic Müller jouant dans la deuxième partie du spectacle le rôle du chauffeur de Chirac Jean-Claude Laumont, le premier souvenir d’enfance de Léo ou de Julien est-il lié à Jacques Chirac. Rien ne viendra le prouver ni l’infirmer, mais il est fort probable en effet que l’un des deux puisse dire comme leur metteur en scène fictif : « En 1995, quelques mois après avoir été élu président de la République, il est venu chez moi, à Verdun, dans la Meuse – je suis de Verdun – Chirac est venu à Verdun inaugurer la salle Jeanne d’Arc, la nouvelle salle des fêtes… ». Accompagnés par le comédien Mathieu Metral dont la partition est créée par Clovis Fouin, qui comme son collègue Julien se met dans la peau d’un alter ego fictif, du nom de José Corrini incarnant lui-même le président, ils se partagent en sus de son écriture les différents rôles du spectacle. Léo donc met en scène et Julien joue José Corrini jouant Jacques Chirac – pour que les choses soient claires, une petite répétition n’est pas superflue. D’autant que parler politique, pour les deux artistes, est notamment une manière d’interroger la notion de représentation, de questionner leurs pratiques qu’ils exercent entre autres au sein de la compagnie Les Animaux en Paradis fondée en 2009 par Léo Cohen-Paperman, qui collabore aujourd’hui avec un réseau de huit lieux du Grand-Est, sous la forme d’une résidence partagée.
S’il n’est pas question dans la pièce ce modèle singulier de diffusion, ni de la belle aventure menée au NTP depuis 2009 dans le village de Fontaine-Guérin en région Pays de la Loire, leur part dans Vie et mort de J.Chirac est évidente. Léo et Julien font un théâtre critique sur son rapport au monde, et qui invente de généreuses et astucieuses manières de partager ces réflexions. Lorsque, dans la première partie du spectacle, Julien Campani et son acolyte José Corrini nous présentent le déroulement d’une pièce imaginaire et immersive sur Chirac – « cette épopée qui ne saurait se faire sans vous, ne peut vivre que grâce à vous, comme vous le savez, puisque vous allez être largement partie prenante », avertissent-ils –, ils le font ainsi avec la subtilité nécessaire pour embarquer les plus réticents à toute forme de participation. Laquelle est d’ailleurs de courte durée : après nous avoir exposé au pas de course toutes les étapes d’un spectacle-fleuve de 24 heures, ils disparaissent sans prévenir. Pour reparaître en Chirac et en Laumond.
Afin d’aborder le dit « bulldozer » de la politique française, qui après une jeunesse portée vers la gauche embrasse l’autre bord qu’il ira jusqu’à incarner au plus haut poste de l’État, les artistes convoquent avec bonheur les codes du théâtre populaire. Dans un décor de petite loge de théâtre, les deux comédiens sont un président et un chauffeur d’opérette. Surtout José Corrini, dont le Chirac est à poil ou presque au début de l’acte 2, pour préparer avec son employé sa rencontre télévisée avec le futur secrétaire général du Parti communiste, Georges Marchais, dans le cadre de l’émission « À armes égales » de 1971. Nous sommes loin, très loin de la fresque théâtrale immersive annoncée plus tôt. Si Chirac est toujours Chirac – quoiqu’il se transforme progressivement en une sorte de clown triste –, Laumond laisse souvent place à différentes figures importantes dans la longue carrière qui se finit mal, par une condamnation en 2011 dans l’affaire des emplois fictifs de la Mairie de Paris. Grâce à sa forme humble, mais pleine d’inventions et d’une pensée vive, Vie et mort de J.Chirac, roi des Français apparaît dans toute sa belle ambition.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
La Vie et la mort de J. Chirac, roi des Français
Texte Julien Campani et Léo Cohen-Paperman
Mise en scène Léo Cohen-Paperman
Avec Julien Campani, en alternance avec Johann Cuny, et Clovis Fouin-Agoutin, en alternance avec Mathieu Métral
Scénographie Henri Leutner
Costumes Manon Naudet
Lumières Pablo Roy
Son Lucas Lelièvre
Collaboration artistique Gaia Singer
Maquillage Djiola MéhéeProduction Cie des Animaux en Paradis
Coproduction Théâtre Louis Jouvet – Scène conventionnée (Rethel), Transversales – Scène conventionnée (Verdun), Le Salmanazar – scène de création et de diffusion (Épernay)
Partenaires et soutiens DRAC Grand Est, Région Grand Est, Ville de Reims, SPEDIDAM, association Furies (Châlons-en-Champagne)Durée : 1h20
Vu en juillet 2021 au Théâtre du Train Bleu
Théâtre du Petit Saint-Martin, Paris
du 6 septembre au 28 décembre 2024
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