Génération sceneweb (26/30). Radouan Leflahi est un acteur fier de ses origines. Le Moyen-Atlas marocain de ses parents, et la périphérie de Rouen où il a vécu l’ont forgé en tant qu’humain et en tant qu’acteur. Sur scène, il entend leur rendre hommage.
Rien ne destinait Radouan Leflahi au théâtre. Dans le Moyen-Atlas marocain où sont nés et où ont vécu ses parents, le théâtre n’existe pas. Il n’est guère beaucoup plus présent dans le quartier de la périphérie de Rouen où ils s’installent à la fin des années 80, et où naît Radouan. En tentant un regard en arrière, le jeune trentenaire pense toutefois voir dans ses origines marocaines la source de son amour pour la parole, pour le récit. Le pays de ses parents, où il se rend très régulièrement pour se ressourcer – il a d’ailleurs décidé d’aller y passer une partie du deuxième confinement ; c’est donc depuis les montagnes marocaines qu’il nous a raconté son parcours, par téléphone –, est pour lui « une pièce de théâtre en soi ».
« Dans ces endroits reculés du monde, tu rencontres des gens qui ont des histoires incroyables à raconter. Ils ont en plus l’art de le faire : la culture amazigh ou berbère étant orale, le conte et le chant y tiennent une place importante », explique Radouan. Il a écrit un documentaire sur son village au Maroc, dont il espère pouvoir faire un long métrage. Car le cinéma attire aussi beaucoup l’artiste. C’est lui qui lui a donné l’envie de devenir acteur. Une envie qui résiste aux découragements de son entourage, notamment dans le milieu scolaire. « On me disait que je n’y arriverais pas, qu’il valait mieux que j’abandonne ». Il passe un bac marketing, sans toutefois abandonner son rêve. Une de ses professeures l’encourage. Il passe en 2009 le concours d’entrée au Conservatoire de Rouen. Et il est pris !
Un acteur fidèle
De cette première victoire envers et contre presque tous, Radouan Leflahi garde un goût du défi. En matière de jeu, il sera prêt à risquer ce qui lui semble le plus difficile – « impossible » n’est pas leflahien. Mais toujours auprès de metteurs en scène en qui il a confiance, et dont la vision du théâtre rejoint la sienne. À commencer par David Bobée, qui avec le directeur du Conservatoire Maurice Attias décide de l’admettre à l’école. « Je ne connaissais alors vraiment rien au théâtre, ce qui à mon avis a été une chance. N’ayant pas d’attentes particulières, j’ai pu me laisser aller tout à fait librement à mes intuitions ». Lorsque David Bobée lui propose une reprise de rôle sur son spectacle Gilles en 2009, alors qu’il est encore étudiant, il accepte sans penser aux suites possibles de l’aventure. Sans imaginer une seconde que, dix ans plus tard, il sera toujours aux côtés de ce metteur en scène.
Son « vrai premier rôle » auprès de David Bobée, Radouan le décroche pour Roméo et Juliette (2012) : dans la peau de Paris, il entre pleinement dans la démarche du metteur en scène. Il apprécie sa façon de faire un « théâtre physique et engagé, dans le corps autant que dans l’intention ». Il est un « acteur émotif » comme les aime David Bobée. Entre eux, l’entente est parfaite : c’est une collaboration sur la durée qui se met en place entre les deux artistes. « Quand la rencontre se fait ainsi, je suis prêt à poursuivre aussi longtemps que possible », dit Radouan. On le retrouve en effet dans le Lucrèce Borgia (2014) de David Bobée avec Béatrice Dalle et dans la récréation de Fées (2016), dont il a fait récemment une version confinée. Et en 2018, il interprète le rôle-titre de Peer Gynt d’Ibsen, qui marque pour lui un tournant. « Au départ, je ne me sentais pas les épaules nécessaires pour incarner ce personnage insaisissable, qui d’une phrase à l’autre passe du rire aux larmes. Ce rôle demande une capacité à faire sans cesse des virages à 180°. Il nécessite aussi une grande endurance. Cette pièce m’a beaucoup déplacé, je me sens maintenant capable de relever d’autres défis ».
Pour un théâtre « populaire »
Toujours auprès de David Bobée, Radouan Leflahi fait avec Elephant man une incursion du côté de l’opéra. Il développe aussi une autre fidélité : le metteur en scène franco-roumain Eugen Jebeleanu le fait participer à son spectacle Ogres (2017), qui propose un tour du monde de l’homophobie. Comme souvent avec David Bobée, le comédien se met là au service d’un sujet d’actualité. Il sert un théâtre « populaire » au sens noble du terme. Une évidence, une nécessité pour lui, qui après dix ans de théâtre n’a jamais coupé les liens qui le relient avec les deux territoires dont il se sent originaire : le Moyen-Atlas marocain et son quartier de la banlieue rouennaise. « Venant d’un milieu populaire, j’aimerais pouvoir me dire qu’un jour, il sera normal de voir dans une salle de théâtre des personnes de milieux différents. J’aime beaucoup aller jouer dans des classes de lycées, mais il serait mieux encore que les jeunes viennent d’eux-mêmes ».
Radouan y contribue à sa manière, en assumant pleinement ses origines. « J’ai toujours refusé de m’inventer une manière de parler qui ne me ressemble pas. J’ai un petit accent, qui n’est pas celui des quartiers aisés, et j’en suis fier. Lorsque des jeunes se reconnaissent en moi, se disent qu’il est possible d’y arriver, j’en suis heureux », dit-il. Si Radouan se réjouit de voir se multiplier les metteurs en scène « qui ne se posent même pas la question de la ‘’diversité’’, pour qui elle va de soi », il estime que le chemin à parcourir pour arriver à son idéal théâtral est encore long. « Il faut travailler, beaucoup ». Et il s’engage à le faire, auprès de ses deux metteurs en scène fétiches et avec d’autres. Tout en poursuivant la carrière qu’il a entamée au cinéma. Radouan n’a renoncé à rien, surtout pas à ses rêves d’enfant.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
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