Le comédien porte la plume dans la plaie pour dénoncer les discriminations dans le monde du théâtre. Une adresse directe et poétique qui profite du savoir-faire de Magali Tosato et de la dextérité musicale de Rodriguez Vangama.
« Vous ne correspondez pas au profil ». La phrase est aussi banale que violente, aussi lapidaire que brutale. Avant qu’il n’ait eu le temps de prononcer la moindre tirade, le sort de Moanda Daddy Kamono fut scellé. Venu tenter sa chance pour endosser le rôle de Richard III, l’acteur d’origine congolaise s’est heurté à un mur, à un metteur en scène qui, au lieu de réclamer quelques répliques shakespeariennes, lui a demandé de… danser, « comme savent le faire les gens comme vous », aurait-il osé. Symbole du racisme ordinaire, avec son air bête et sa vue basse, la scène n’en est pas moins blessante et provoque une fêlure chez le comédien qui, par la voie théâtrale, va tenter de la sonder et de mettre les maux en mots.
Fondée sur une autofiction, son adresse à ce metteur en scène non identifié retrace le chemin qui, un jour, l’a conduit jusqu’à cette salle du sixième étage. De trottoir en escalier, Moanda Daddy Kamono détaille sa soif de théâtre, son désir viscéral d’être au plateau. Loin de céder à la complainte hargneuse, il préfère prendre le mal à revers et s’interroger sur ce que pourrait bien être son « profil », quitte à examiner la pertinence d’une telle acception. Plutôt que d’étaler son CV, que l’on sait fourni – de la toute première pièce de Faustin Linyekula au plus récent Congo, en passant par le Othello d’Arnaud Churin et la Cour d’honneur du Palais des Papes avec Par les villages monté par Stanislas Nordey –, il ouvre la boîte de Pandore de son passé, de son enfance difficile à Kinshasa, sans père et dans un Congo en pleine guerre meurtrière. « Je suis d’une famille quelconque de quatre morts, deux parents, deux frères et quelques survivants par quel miracle le suis-je encore ? », se questionne-t-il sans fausse pudeur.
Couronne gonflable vissée sur la tête, veste à mi-chemin entre le manteau d’hermine royal et le peignoir de boxeur sur les épaules, le comédien transforme cette prise de parole directe en uppercut. Malgré un style lyrique un peu ampoulé et un jeu aux accents parfois cabots, qui mériteraient plus de simplicité pour gagner encore en puissance, il profite du savoir-faire de la metteuse en scène Magali Tosato, habituée à mettre le théâtre documentaire au service de la lutte contre les discriminations (Home-Made, Amour/Luxe). Ensemble, ils réussissent, avec une forme de récit qui sort des canons habituels, à donner à la figure du comédien un relief qui va au-delà de son physique et de sa technique. Sous leur regard, il a tout à voir avec une âme et un parcours personnel qui peuvent nourrir un rôle et briser les stéréotypes éculés.
Un propos qui tire aussi sa force du travail scénographique de Franziska Keune – et de ses lettres géantes qui forment le mot dog, correspondant, on peut l’imaginer, à l’anacyclique de god et/ou à l’acronyme de duke of Gloucester, soit le titre de Richard III – et de la composition live de Rodriguez Vangama. Armé d’une guitare à double manche, d’un petit caisson et d’une pédale loop, le musicien mêle la musique populaire congolaise, le jazz et le rock, avec une aisance qui subjugue. Familier d’Alain Platel (Coup fatal), il forme un beau tandem avec Moanda Daddy Kamono et offre au plateau une ambiance lumineuse et gracieuse, inattendue, mais bienvenue, pour enluminer, sans le travestir, un sujet aussi sérieux.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
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