La nouvelle création du collectif OS’O explore le dérèglement temporel dans une fable mettant les motifs de la science-fiction à l’honneur.
Si le théâtre est connu pour se saisir de tous les genres et de nombre de thèmes, il en est un auquel il ne s’attelle que rarement : celui de la science-fiction. Pourtant, dès 1920, Karel Čapek signe R.U.R (Rossum Universal Robot), pièce mettant le genre à honneur – c’est, même, d’ailleurs sous la plume du dramaturge tchèque que le terme « robot » naît. Sauf que l’art théâtral n’ayant pas la force de frappe du cinéma et de ses effets visuels, et ne bénéficiant pas de la puissance de l’imaginaire propre à la littérature, s’y coltiner sur une scène relève d’une gageure. C’est ce défi que relève avec énergie le collectif OS’O.
L’équipe d’acteurs issue de la première promotion de L’ESTBA (Ecole supérieure de théâtre Bordeaux Aquitaine), aujourd’hui associée au 104 à Paris et au Théâtre national Bordeaux Aquitaine, se saisit d’une pièce d’Alistair McDowall. Ce jeune dramaturge britannique monté ici pour la première fois en France, c’est par l’entremise de Vanasay Khamphommala que le collectif le découvre – ce dernier signant la traduction, la dramaturgie et la direction d’acteurs du spectacle. Dans X (pièce créée en 2016 au Royal Court de Londres), nous suivons l’histoire d’une équipée spatiale.
Partie en mission sur la lointaine Pluton, une poignée de scientifiques espère la navette censée les ramener sur la Terre. Sauf que celle-ci se fait attendre, tout comme les réponses à leurs nombreux messages. Lorsque le récit commence, le groupe constate que toutes tentatives d’établir un contact avec la Terre demeure lettre morte. Dans un montage séquencé où les échanges entre les personnages s’enchaînent à un rythme vif, nous suivons leur attente et leur mort successive.
On retrouve là les ingrédients de la science-fiction ainsi que les motifs cinématographiques sur lesquels le genre s’est largement déployé : décor futuriste évoquant une station spatiale, machines aux multiples voyants et boutons clignotants, nourriture et boissons calibrés, tenues assorties, musique aux nappes inquiétantes, dramaturgie complexe révélant sa structure au fil du récit – et bouleversant la compréhension de celui-ci.
Il en va de même pour les personnages, qui renvoient à des figures stéréotypées : il y a Ray, le capitaine, secret et distant (qui se suicidera) ; Gilda son adjointe, fébrile et laissant volontiers ses émotions la déborder ; Cole, le scientifique geek, taiseux et inquiet ; Clark, technicien musculeux et arrogant, grande gueule et volontiers graveleux ; et Mattie, jeune femme enjouée et attachée au passé. Digne d’un scénario hollywoodien, le texte d’Alistair McDowall nous immerge dans ce huis-clos et dans ses progressives révélations.
Soumis à l’insondable attente d’une réponse de la Terre, ne risquant en rien de mourir de faim – la station étant équipée pour des décennies – les membres de l’équipage se retrouvent en prise avec un sentiment de vacuité comme d’inutilité : à quoi bon encore travailler ? que faire ? pour qui ? La dissolution de leurs valeurs et du sens de leur vie les fait basculer dans la folie et dans une confusion des expériences intimes – chacun ne sachant plus qui a vécu quoi. Revient, lancinante, la question de la disparition des arbres et des oiseaux, racontée à l’envi. Si cette évocation de catastrophes écologiques – qui ajoutent à la SF une tonalité post-apocalyptique – tend à rabattre le texte de McDowall sur une morale de bon aloi assez simpliste (d’autant plus primaire que l’actualité de notre monde contemporain rattrape toutes les fictions), l’intérêt du spectacle réside dans l’écriture aux multiples mises en abyme de McDowall, comme dans la mise en scène maîtrisée du collectif.
Le spectateur recompose le puzzle de l’histoire de l’équipage, comprenant qu’X se joue de la chronologie et de la linéarité temporelle – cet intitulé renvoyant d’ailleurs à l’inconnu « x » qu’est le temps dans une équation posée par Cole. Ainsi, tandis que les personnages prennent conscience de la versatilité temporelle de leur existence, les spectateurs appréhendent progressivement à quel point la narration entremêle les périodes historiques.
Quoique la pièce souffre d’un excès de lisibilité – son souci de tout raconter évacuant des ambiguïtés fructueuses – et que le jeu des comédiens épouse parfois trop cette littéralité, X suscite un plaisir rare au théâtre : celui de s’abandonner dans un récit supposant une adhésion au monde représenté. La joie de la croyance et de l’acceptation de la convention sont d’autant plus vifs ici que le collectif OS’O fait le choix de ne pas recourir à des effets visuels ou spéciaux perfectionnés (ni vidéo, ni robots ou hologrammes), préférant travailler ses atmosphères angoissantes et poisseuses avec de menus artifices (fumigènes, lumières). L’ensemble constitue une invitation à l’immersion dans une histoire à tiroirs, que chacun pourra à sa guise arpenter et recomposer, voire, s’amuser à retrouver les renvois à des œuvres cinématographiques.
Caroline Châtelet – www.sceneweb.fr
X d’Alistair McDowall
traduit par Vanasay KhamphommalaL’Arche est agent du texte représenté
Mise en scène collective.
Avec : Roxane Brumachon, Bess Davies, Mathieu Ehrhard, Baptiste Girard et Tom Linton
Dramaturgie et direction d’acteur : Vanasay Khamphommala
Collaboration artistique : Denis Lejeune
Lumières : Jérémie Papin
Scénographie : Hélène Jourdan
Costumes : Aude Desigaux
Musique et son : Martin Hennart
Maquillage : Carole Anquetil
Régie générale : Benoît Lepage
Marionnette : Marion Bourdil
Perruque : Pascal Jehan
Stagiaires : Margaux Langlest et Thibaut Wojtkowski
Production : Fabienne Signat
Diffusion – Tournée : Emmanuelle PaolettiProduction déléguée : le Collectif OS’O.
Coproductions : le Fonds de dotation du Quartz de Brest ; le ThéâtredelaCité – Centre Dramatique National Toulouse Occitanie ; le TnBA – Théâtre national de Bordeaux Aquitaine ; Le Gallia Théâtre, scène conventionnée d’intérêt national – art et création de Saintes; La Scène Nationale d’Aubusson ; LE CENTQUATRE-PARIS ; la Passerelle – Scène nationale de Saint-Brieuc ; le Théâtre de Châtillon ; le Théâtre de Chelles ; l’OARA – Office Artistique de la Région Nouvelle-Aquitaine ; l’IDDAC – Institut Départemental de Développement Artistique et Culturel – Agence culturelle de la Gironde.
Projet soutenu par le Fonds de soutien à la création de la Mairie de Bordeaux, la SPEDIDAM et l’ADAMI.
Coproduction en cours.Le 104
27 juin > 02 juillet 2021
mardi au vendredi : 15h / dimanche : 19h
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