Dans un jeu participatif visant à réagir en groupe à l’arrivée d’une nouvelle pandémie, Yan Duyvendak place les spectateurs et spectatrices en position de décider du sort de notre société. Une expérience joyeuse et complexe.
Le FAB (Festival International des Arts de Bordeaux Métropole) a tenu bon et réussi à ce que se jouent toutes les représentations de son programme initial. Un temps pionnière du rouge écarlate dans la nomenclature gouvernementale, la métropole bordelaise a finalement réussi à échapper au fumeux couvre-feu. Dans une configuration repensée à l’aune de la crise sanitaire – moins de spectacles internationaux, plus de compagnies de la région Aquitaine – ce festival qui aime les formes particulières a donc offert l’occasion de découvrir le fameux Virus imaginé par l’artiste batave venu de Suisse, Yan Duyvendak.
Nous vous en parlions dès le mois de février, Virus est un spectacle sous forme de jeu participatif. Il a été imaginé avant la crise sanitaire actuelle à partir de projections de l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) qui anticipent le retour d’un épisode de grippe aviaire, comme statistiquement hautement probable d’ici 2025… Cela fait froid dans le dos puisque la Covid 19 ferait bien pâle figure vis-à-vis de ce H7N9 que fictionne Virus. Cette maladie-là affiche en effet un taux de létalité d’environ 40%… Un temps remis en cause puisque percutant l’actualité dramatique que l’on traverse depuis maintenant neuf mois, le spectacle a quand même vu le jour parce qu’il trouvait ainsi les spectateurs mieux armés pour jouer leur rôle face à la pandémie et leur ouvrait également un espace leur permettant de voir autrement une situation qui depuis des mois les obsède.
Il s’agit en effet pour les spectateurs de Virus de prendre en main les commandes du pays – une sorte de fantasme pour chacun ! – et de décider des décisions les plus justes à prendre pour répondre à cette nouvelle catastrophe sanitaire. Les spectateurs se répartissent donc dans le groupe de leur choix (économie, sécurité, santé, recherche, ressources vitales, presse, population civile et communication gouvernementale), ouvrent des enveloppes qui les conduisent à opérer des choix stratégiques concernant leur domaine et se réunissent en fin de période en comité interministériel pour prendre des décisions communes : fermeture ou non des frontières, confinement, définition de populations prioritaires pour les vaccins…
L’économie de marché s’est écroulée
La partie dure plus d’une heure, découpée en trois étapes. Lui succède un retour d’expérience un verre à la main. A l’issue des trois périodes, le pays se trouve projeté dans un des futurs modélisés par le docteur Philippe Cano, qui a conçu le jeu avec les développeurs de jeu professionnels de Kaedama à partir des projections scientifiques de l’OMS tirées notamment des expériences de gestion de crise du virus Ebola. Le système de projections mis en place est donc on ne peut plus sérieux puisque c’est celui qui préside aux sessions de formation que dispense CE (Communauté Européenne) aux différents gouvernements de ce monde pour les préparer à affronter des pandémies.
Résultat ? A la fin, avec quelques dizaines de milliers de morts au compteur, nous nous sommes retrouvés dans une société où le marché tel que nous le connaissons s’était écroulé pour laisser place à des micro-communautés régissant leur destin. Certainement pas le moins enviable des quatre avenirs modélisés, qui comptent aussi parmi eux également la possibilité d’un capitalisme triomphant, d’une dictature stricte ou encore d’un effondrement total. A chaque session de jeu son issue, selon les décisions prises par les participants.
Pas mal joué donc. Mais l’essentiel est certainement ailleurs. Car dans le tumulte du jeu, on a du mal à déterminer quelles décisions ont finalement été défavorables au sort commun et quelles autres l’ont été davantage. Virus est en fait un jeu qui place le spectateur, la spectatrice à la fois en position de toute puissance décisionnaire et en même temps dans la difficulté d’agir sur un réel tellement complexe. Connaissance parcellaire de la situation, urgence des prises de décision, nécessité de débattre, négocier, parlementer. On est obligé de remiser les « yaka », « fokon » du quotidien. La partie est dirigée par Delphine Abrecht et Jean-Daniel Piguet, microtés, tout en noir, impassibles dans leurs directives. Mais sans leadership, sans chef de gouvernement, sans Président, c’est la mise en place d’une horizontalité qui constitue le véritable défi. Il faut suivre des règles et peut-être les dépasser, prendre des décisions dans une difficulté à faire œuvre commune passionnante à vivre et à observer. Plus que la pandémie, c’est sans doute la nécessaire invention de nouvelles formes de gouvernance qui vient ici se raconter.
Eric Demey – www.sceneweb.fr
VIRUS
concept Yan Duyvendak / conception du jeu Kaedama, Corentin Lebrat, Théo Rivière / conseil scientifique Dr. Philippe Cano / MC – FR Delphine Abrecht, Jean-Daniel Piguet / lumières Vincent Millet / voix Georges Romero / documentation vidéo David Daurier / assistanat Tomas Gonzalez, Pierre-Angelo Zavaglia / regie générale Eric Mutel et Stéphane Leclercq/ direction administrative Marine Magnin / développement international Judith Martin – Ligne Directe / production créative & communication Charlotte TerraponLes SUBS, Lyon
Du 14 au 16 octobre 2021
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