Dans dispositif en quadri-frontale, Céline Champinot resserre La Mouette de Tchekhov, en se focalisant sur quatre personnages et la metteuse en scène affirme cette nécessité de faire du théâtre autrement.
Après avoir pris place dans un dispositif en quadri-frontal, où l’aire de jeu est délimitée par un rectangle de scotch, le public écoute les consignes habituelles – « quant aux téléphones portables » – données par un membre de l’équipe du TDB. Une intervention écourtée brutalement par Konstantin. Le jeune homme, qui gisait à terre dans une tenue d’escrime se redresse, fleuret en main. Il prend la parole et introduit avec quelques digressions ce qui va suivre. Konstantin nous annonce la tenue d’une pièce, écrite et mise en scène par lui-même, qui concentre sa vision de la littérature, qui doit “peindre la vie non pas telle qu’elle est, ni telle qu’elle doit être, mais telle qu’elle se représenter en rêve.” Avec ces premiers instants, ce personnage qui mènera de bout en bout l’histoire à venir présente les quatre protagonistes de La Mouette – Je n’ai pas respecté le monopole : lui, aspirant à une carrière d’auteur ; sa mère Irina, grande actrice ; Boris Trigorine, célèbre auteur et compagnon de sa mère pour lequel il n’a que du mépris ; et la jeune Nina dont il est amoureux et qui rêve de devenir comédienne.
En adaptant librement la pièce jouée pour la première fois en 1896, Céline Champinot resserre la focale sur ces quatre personnages. Un choix qui en taillant le texte à l’os se recentre sur le quadrille amoureux du quatuor – Konstantin étant amoureux de Nina et jaloux de la présence de Trigorine auprès de sa mère ; Nina délaissant Konstantin pour Trigorine et ne cessant de l’aimer même lorsque ce dernier l’a quittée ; Irina autorisant à Trigorine ses écarts. Dans ce face à face entre deux générations se déploie des ambitions et des trajectoires diverses, entre tragique et mélancolie. Konstantin, qui rêve de renouveler la littérature, connaît finalement le succès et craint de sombrer dans la facilité – celle qu’il reproche à sa mère et Trigorine. Irina, frivole, revendique sa liberté, là où Nina échoue en tant qu’actrice et ne parvient pas à s’affirmer comme une femme indépendante.
Joué en alternance par Marion Cadeau et Léopold Faurisson ou Shanee Krön et Alexandre Liberati, quatre jeunes acteurs en contrat de professionnalisation au TDB, le spectacle représente un joli défi. Par la proximité avec le public, ainsi que par l’interprétation de quatre personnages par un duo. Passant sans cesse de Nina à Irina pour Shanee Krön, de Konstantin à Trigorine pour Alexandre Liberati, les comédiens doivent faire preuve de plasticité et de rigueur de bout en bout. C’est là que le bât blesse. En dépit d’une belle énergie, Shanee Krön est demeurée ce mercredi dans un jeu un peu trop en force. Si Alexandre Liberati a insufflé plus de nuances à ses personnages, la représentation a peiné à trouver son rythme, écrasant la richesse du propos. Certains choix de mise en scène, tel l’attribution de l’accent russe – plus ou moins maîtrisé – à Irina et Trigorine a ajouté à la sensation de découvrir un spectacle fragile par endroits.
Mais l’intérêt de cette création réside peut-être ailleurs. Outre la mise en abyme du théâtre dans le théâtre, il y a la démarche de Céline Champinot. En reprenant dans l’intitulé du spectacle la parole de Konstantin « Je n’ai pas respecté le monopole » (phrase avec laquelle le jeune homme attaque les critiques conservatrices vis-à-vis de son travail), la metteuse en scène affirme cette nécessité de faire du théâtre autrement. Une revendication qui s’incarne dans la réécriture de la fin de la pièce, comme dans le remodelage du projet suite à la crise sanitaire. Délaissant les costumes et accessoires initiaux, la version actuelle intègre par les tenues d’escrime la présence de visières pour les comédiens. Une manière de conserver la forme épurée, centrée sur le jeu des acteurs, et le souci de proximité entre ces derniers et les spectateurs. Intéressant en ce qu’il souligne les joutes opposant les personnages, ce choix tend parfois vers l’exercice de style. Il rappelle néanmoins que pour Céline Champinot comme pour Konstantin, « Des formes nouvelles, voilà ce qu’il faut, et, s’il n’y en a pas, alors, tant qu’à faire, plutôt rien. »
Caroline Châtelet – www.sceneweb.fr vu à la création du Théâtre Dijon Bourgogne en 2020.
LA MOUETTE (JE N’AI PAS RESPECTÉ LE MONOPOLE)
D’après Anton Tchekhov
Conception, mise en scène Céline Champinot
Avec Marion Cadeau*, Léopold Faurisson*, Shanee Krön*, Alexandre Liberati*
*Comédien(ne)s en contrat de professionnalisationProduction Théâtre Dijon Bourgogne, CDN ; Groupe LA gALERIE
Avec le soutien du Fonds d’Insertion de l’éstba financé par la région Nouvelle-Aquitaine ; FONPEPSThéâtre 13/Seine
du 23 mars au 2 avril 2022
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