Hubert Colas confie à Frédéric Leidgens et Thierry Raynaud deux textes – Nous campons sur les rives et « Dimanche à Cologne » – de l’auteur disparu il y a près de deux ans. Un projet ambitieux à la réussite inégale.
S’aventurer hors des sentiers strictement théâtraux est un exercice toujours périlleux. Il l’est sans doute doublement lorsqu’il consiste à porter à la scène l’oeuvre de Mathieu Riboulet, tant son écriture est de celles qui ne se livrent pas au premier coup d’oeil et méritent que l’on y revienne, et s’y attarde, pour en saisir l’ampleur. C’est pourtant le défi que s’est lancé Hubert Colas. Admirateur de l’écrivain décédé il y a près de deux ans, le metteur en scène a voulu lui rendre hommage et adapter deux de ses textes, Nous campons sur les rives et un chapitre de Lisières du corps, « Dimanche à Cologne ».
Ces partitions complexes, Hubert Colas les a confiées à un tandem de comédiens de choix : Frédéric Leidgens et Thierry Raynaud. Dans le très intimiste planétarium de Nanterre-Amandiers, le duo a une allure spectrale, celle de fantômes que l’on aurait convoqués pour faire entendre la voix de l’auteur disparu. Car l’objectif d’Hubert Colas est là, et bien là. En lutte contre « cette société bruyante et parasitaire où à chaque instant notre attention est l’objet de toutes sortes de sollicitations », il a opté pour une scénographie épurée, loin, très loin, de ces espaces brillantissimes, vibrants en eux-mêmes, auxquels il nous avait habitués. Agrémenté de trois tables en bois particulièrement massives, le plateau profite simplement de ces lumières – et du beau travail vidéo d’Ernese Pap – que le metteur en scène manie toujours avec autant de doigté et d’élégance.
Tout reposait alors sur la capacité des deux comédiens – dont la présence simultanée, pourtant prometteuse, est laissée en jachère – à porter, et à projeter, l’écriture de Mathieu Riboulet. Aux commandes de Nous campons sur les rives, ce texte commandé à l’auteur par l’historien Patrick Boucheron à l’occasion du Banquet du livre de Lagrasse, Frédéric Leidgens, habituellement si magistral et pénétrant, se révèle étonnamment éteint. Comme s’il n’avait pas trouvé la clef de ce questionnement autour de l’être là, il se contente d’une interprétation purement cérébrale et se heurte à la difficile transformation théâtrale. Assis à sa table, il échoue à accompagner l’oeuvre de Mathieu Riboulet, à lui donner une coloration particulière. N’en ressort qu’un sentiment de complexité glaciale que le jeu du comédien contribue à alimenter au lieu de chercher à l’éclairer.
Heureusement, la performance de Thierry Raynaud, chargé de « Dimanche à Cologne », se révèle autrement plus vivante. Fidèle parmi les fidèles d’Hubert Colas, le comédien s’est approprié, jusque dans sa gestuelle, les mots de Mathieu Riboulet dont il paraît se délecter. De cette plongée dans un sauna gay de Cologne, le fameux Babylon, il fait une célébration des corps, des désirs et des pulsions sexuelles. Grâce à son interprétation aussi facétieuse que profonde, il parvient à donner à cette oeuvre tout le relief qu’elle mérite, et à rallumer le feu sous la glace qui prévalait jusqu’alors.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Nous campons sur les rives
Textes Nous campons sur les rives et « Dimanche à Cologne » extrait de Lisières du corps de Mathieu Riboulet (Editions Verdier)
Mise en scène et scénographie Hubert Colas
Avec Frédéric Leidgens et Thierry Raynaud
Son Oscar Ferran
Vidéo Ernese Pap
Stagiaire assistanat mise en scène Jeanne BredProduction Diphtong Cie
Coproduction Nanterre-Amandiers, centre dramatique nationalDurée : 55 minutes
Nanterre-Amandiers
du 23 au 26 janvier et du 6 au 9 février 2020
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