Figure phare du Festival d’Aix-en-Provence où elle a dernièrement présenté de somptueuses productions, Katie Mitchell ne convainc pas cette fois en livrant une Ariane à Naxos superficielle et prosaïque au Théâtre de l’Archevêché.
Alors que Richard Strauss et son librettiste Hugo von Hofmannstahl s’amusent à introduire un opéra dans l’opéra et font s’interpénétrer les genres et les tons, Katie Mitchell force le trait du conflit qui met en concurrence les registres seria et buffa : les tragiques, prennent l’allure pompeuse d’un ballet en apparence Bauschien avec de la tourbe disposée au sol, de fines et longues robes souples portées par l’héroïne éponyme et les naïades qui l’accompagnent, des fleurs éparses, des chaises…, tandis que les comiques, peu mis en valeur, jouent aux danseurs d’opérette animant un goûter d’anniversaire. Leur battle prend place dans un intérieur chic et bourgeois aux murs bleu glacé. L’espace style Art Déco richement esthétisé est scindé en deux parties communicantes, d’une part le plateau, de l’autre la salle.
Dans la mise en scène forcée de Katie Mitchell, le prologue est un long va-et-vient. Les portes claquent comme au boulevard. On déménage les meubles, s’affaire aux préparatifs et aux derniers raccords, sous le regard impuissant d’une compositrice spoliée. Rompue au rôle de travestis dont l’Octavian du Rosenkavalier, la belle mezzo Angela Brower assume cette fois une féminité froide et un peu hautaine, peu encline aux épanchements sauf lors d’une manifestation furtive d’un désir homosexuel pour Zerbinette. Sur le plateau, l’agitation permanente et étourdissante est orchestré avec virtuosité mais parait bien vaine. Au moins, la première partie a le mérite de coller au propos ; ce n’est pas le cas de la seconde, peu à l’écoute du texte et de la musique, où les personnages, tous présents (comme l’oblige la mise en abyme), interviennent anarchiquement, se prêtent à des situations annexes fort inutiles et même absconses, au risque à nouveau de la confusion et de l’éparpillement. Parmi les excentricités de la mise en scène, relevons une Ariane enceinte qui, seule sur son île, attend la mort en donnant la vie.
Katie Mitchell qui s’est souvent passionnée pour des entités féminines intrigantes et contrariées ne dit rien des vicissitudes du personnage désolé, de son sentiment d’abandon et suppose sa propension à la destruction dans le pistolet chargé offert par Bacchus, son sauveur, chanté par Eric Cutler aux aigus éclatants et stylés.
Il est difficile de se concentrer sur les tourments d’Ariane comme sur les facéties de Zerbinette. Ces deux rôles bénéficient pourtant d’interprètes solides. La première est campée avec autorité et gravité par Lise Davidsen dont les puissants moyens vocaux impressionnent mais l’interprétation mono-expressive doit s’affiner. Sabine Devieilhe possède une technique parfaite et enchante ses coloratures agiles mais campe un personnage relativement timide, jolie mais peu jouasse, en tout cas moins allumé que la belle robe qu’elle porte. Alors, la fantaisie caustique attendue appartient à des personnages plus secondaires comme le Maître à danser de Rupert Charlesworth en « grande folle » longiligne et drolatique.
L’Orchestre de Paris dont les déferlements sonores font sensation dans L’Ange de feu de Prokofiev donné en alternance trouve moins d’inspiration et de justesse dans l’intimiste Ariane à Naxos. L’interprétation conduite par le chef Marc Albrecht est soyeuse, élégante, enveloppante, mais il manque le côté nargueur, narquois et le souffle lyrique de cette musique. Il est surtout bien dommage que cet Ariane, réduite à un divertissement quelconque, passe à côté de la magie théâtrale comme de la bouleversante vérité des cœurs.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
ARIADNE AUF NAXOS
Opéra en un acte précédé d’un prologue
Livret de Hugo von Hofmannsthal
Créé le 4 octobre 1916 à Vienne
Direction musicale
Marc Albrecht
Mise en scène
Katie Mitchell
Dramaturge
Martin Crimp
Décors
Chloe Lamford
Costumes
Sarah Blenkinsop
Lumière
James Farncombe
Responsable des mouvements
Joseph W. Alford
Primadonna / Ariadne
Lise Davidsen*
Der Tenor / Bacchus
Eric Cutler
Zerbinetta
Sabine Devieilhe*
Der Komponist
Angela Brower
Harlekin
Huw Montague Rendall
Brighella
Jonathan Abernethy*
Scaramuccio
Emilio Pons
Truffaldin
David Shipley
Najade
Beate Mordal*
Dryade
Andrea Hill*
Echo
Elena Galitskaya*
Ein Musiklehrer
Josef Wagner
Ein Tanzmeister
Rupert Charlesworth*
Ein Offizier
Petter Moen*
Ein Perückenmacher
Jean-Gabriel Saint Martin*
Der Haushofmeister
Maik Solbach
Ein Lakei
Sava Vemić
Orchestre
Orchestre de Paris
*Ancien.nes artistes de l’Académie
Nouvelle production du Festival d’Aix-en-Provence
En coproduction avec Théâtre des Champs-Élysées, Théâtres de la Ville de Luxembourg, Opéra national de Finlande
2h50 (entracte compris)
Spectacle en allemand surtitré en français et en anglaisFestival d’Aix-en-Provence
Théâtre de l’Archevêché
Les 4, 6, 9, 11, 14 et 16 juillet à 22h00
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