François Hien s’empare du sujet délicat de la dissimulation de la pédocriminalité au sein de l’Eglise. Avec, toujours, ce courage de la nuance qui caractérise son travail.
Certains spectacles tombent, comme qui dirait, à point nommé. La Peur fait partie de ceux-là. Quelques semaines seulement après la publication du rapport Sauvé – qui estime à 216 000 le nombre de personnes de plus de 18 ans ayant fait l’objet de violences ou d’agressions sexuelles pendant leur minorité de la part de clercs ou de religieux catholiques en France entre 1950 à 2020, voire à 330 000 si l’on considère les agresseurs laïcs travaillant dans des institutions catholiques –, la nouvelle création de François Hien, donnée au Théâtre des Célestins de Lyon, plonge dans les méandres de cette pédocriminalité ecclésiastique qui, par son ampleur et son caractère systémique, a de quoi faire froid dans le dos. Comme il avait déjà su le prouver, notamment, dans Olivier Masson doit-il mourir ?, où il traitait du sujet de l’euthanasie en prenant largement appui sur l’affaire Lambert, le dramaturge et metteur en scène n’est pas là pour juger, mais bien pour comprendre et analyser, par le truchement de la fiction, les mécaniques qui conduisent une institution à dissimuler plutôt qu’à dénoncer les crimes commis en son sein.
La Peur commence d’ailleurs par un pacte tacite conclu entre le père Guérin et le cardinal Millot. Privé de paroisse depuis la découverte, par sa hiérarchie, de sa relation avec un homme, le premier est devenu le confesseur officiel des hommes d’Eglise. Parmi eux, figure le père Grésieux qui lui avoue, sans détour, ses agissements pédocriminels, comme il l’avait déjà fait auprès du cardinal Millot. Le père Guérin décide alors de porter, dans une lettre, ces faits devant la justice, mais aussi d’incriminer son supérieur hiérarchique pour les avoir dissimulés. A quelques jours du procès, Millot abat sa dernière carte et propose au prêtre désoeuvré un marché : une nouvelle paroisse contre son silence lors de l’audience. Sans l’énoncer clairement, Guérin y consent et retrouve peu après la joie de célébrer une messe devant des fidèles. Sauf que, chaque dimanche, à l’occasion d’un temps d’expression libre ménagé après l’homélie, Morgan, l’une des victimes du père Grésieux, prend la parole pour rappeler à tous le retournement de veste du curé. Histoire de mieux comprendre les motivations du jeune homme, le père Guérin l’invite alors à passer tous ses déjeuners dominicaux avec lui, sans autre arrière-pensée que sa propre pénitence.
Inspiré par l’affaire Barbarin, mais aussi par des témoignages de victimes, dont celles de l’association « La Parole Libérée », et par la personnalité du prêtre et théologien, ouvertement homosexuel, James Alison, le texte cousu main par François Hien embrasse ce sujet délicat dans toute son ampleur et toute sa complexité, y compris en abordant la question, brûlante, de l’homosexualité, et de son rejet éhonté, au sein de l’Eglise. Sous-tendu par une construction dramaturgique qui, à la stricte linéarité, préfère une logique fragmentaire où des morceaux du passé s’inviteraient dans le présent pour mieux l’éclairer, il échappe à tout manichéisme et s’intéresse au fond des cœurs des Hommes pour mieux les sonder. Chez François Hien, avec le courage de la nuance qui le caractérise, il n’existe aucun mal pur, mais plutôt des faiblesses humaines, trop humaines – liées à des histoires personnelles, des ambitions professionnelles, des tendances sociétales – qui, par leur accumulation, permettent à un système de dissimulation à grande échelle de se mettre en place. Sans jamais dénoncer, mais sans, pour autant, ménager les uns ou les autres, le dramaturge bouscule ses personnages jusqu’à les faire évoluer. Pour cela, il utilise le dialogue et les échanges, qu’il prend le temps de construire, comme arme de conciliation massive, capable de faire se rapprocher des positions a priori antagonistes.
Conscients de la richesse de ce texte qui, à la manière de matriochkas, ne cesse de trouver des ramifications à son sujet d’origine, François Hien et Arthur Fourcade optent pour une mise en scène qui ne cherche jamais à en surajouter. Esthétiquement simple, voire austère, à la manière du Teresa d’Alain Cavalier dont le duo s’est inspiré, elle veut, avant tout, offrir à la pièce un écrin scénique en mesure de la mettre en valeur, et de la rendre la plus claire, fluide et limpide possible. A l’avenant, les comédiens se mettent tout entier à son service et profitent même des quelques pointes d’humour glissées çà et là, à intervalles réguliers, par le dramaturge pour faire redescendre la pression. Si le jeu de tous était encore, parfois, un peu vert au soir de la première, Arthur Fourcade et Pascal Cesari campent déjà un beau duo-duel intergénérationnel, qu’Estelle Clément-Bealem, Marc Jeancourt et Ryan Larras accompagnent chacun à leur manière – respectivement provocante, sévère et sensible – pour former cette dynamique de troupe qui préside, toujours, aux spectacles de la bien-nommée compagnie L’Harmonie Communale.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
La Peur
Texte François Hien
Mise en scène Arthur Fourcade, François Hien / Compagnie L’Harmonie Communale
Avec Pascal Cesari, Estelle Clément-Bealem, Arthur Fourcade, Marc Jeancourt, Ryan Larras
Scénographie Anabel Strehaiano
Régie générale et lumière Nolwenn Delcamp-Rise
Costumes Sigolène PeteyProduction Ballet Cosmique
Coproduction Célestins – Théâtre de Lyon, La Mouche – Saint-Genis-Laval, Le SUAC – Université de Strasbourg, Centre culturel Charlie Chaplin – Vaulx-en-Velin
Aide à la production de la DRAC Auvergne-Rhône-Alpes, de la Région Auvergne-Rhône-Alpes et de la Ville de Lyon
Avec le soutien de la Comédie de Saint-Etienne / DIESE# Auvergne-Rhône-Alpes
Ce texte est lauréat de l’aide à la création de textes dramatiques ARTCENA et des Journées de Lyon des auteurs de théâtre 2021.
La Peur est édité aux éditions Théâtrales.Durée : 2h10
Théâtre de La Tempête
du 24 janvier au 16 février 2025
mardi > samedi 20h30 // dimanche 16h30
Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !