Au-delà du récit de la reconstruction familiale, après la mort prématurée de sa mère, Théo Askolovitch dresse avec Zoé [et maintenant les vivants] le portrait d’une famille où l’amour circule et irrigue la vie. Un spectacle drôle et émouvant porté par une écriture qui varie sans cesse les registres de langue, de jeu et les plans de la fiction, construisant une œuvre simple, délicate et ô combien séduisante.
De jour en jour, Théo Askolovitch s’affirme comme valeur montante du théâtre. Après 66 jours, où il racontait l’épisode de son cancer, superposé à la chronologie de la Coupe du monde 2018, le jeune comédien et écrivain poursuit dans la veine autobiographique en revenant sur la mort de sa mère, survenue à son adolescence. Un vendredi, commence-t-il par préciser, comme si cela avait son importance. On pense à L’Étranger de Camus, qui, lui, ne sait même plus quand sa mère est morte exactement. Théo Askolovitch, c’est bien l’anti Meursault. Chez lui, tout respire la sensibilité à l’autre et l’aspiration au bonheur.
Ainsi, ce spectacle tiré de son histoire familiale, fût-il consacré à la réparation d’un deuil, contribue-t-il largement à celui du spectateur. Tout d’abord parce que Théo Askolovitch déploie le paysage d’une famille où l’amour circule, où la parole dit les émotions, où les disputes et les désaccords finissent invariablement par se résoudre simplement parce que l’on s’y aime et que l’on y échange. S’il était seul en scène pour 66 jours, le voilà ici accompagné de Marilou Aussilloux, qui joue le rôle de sa sœur, et de Serge Avédikian, celui de son père – qui, à la ville, n’est autre que le célèbre journaliste Claude Askolovitch. Tous les trois rejouent le passé, le commentent, se contredisent, se disputent, nous ramènent d’il y a une dizaine d’années à aujourd’hui, puis repartent dans l’autre sens, nous promènent du moment où Zoé est morte à cette vie où le père a eu de nouveaux enfants et la fille un premier. La tristesse successive à l’irréparable perte a-t-elle pour autant disparu ? Le spectacle se termine sur le magnifique poème d’Aragon, maintes fois mis en musique, Il n’y a pas d’amour heureux.
Entre les deux, Théo Askolovitch aura développé un récit impeccablement équilibré, échappant à la fois « au pathos et au potache », comme il l’écrit, balançant entre langue du quotidien et style plus littéraire, passant souplement de l’adresse type frontale à la représentation théâtrale, le tout en allers-retours du passé à aujourd’hui, du récit au présent de la scène et de l’envie de rire à celle de pleurer. Indéniablement, un style s’impose ici, une écriture, particulière, qui ouvre le champ au parler contemporain sans s’en contenter, et, à travers elle, une sensibilité, une manière de sourire au malheur qui tient à égale distance le cynisme et le gnangnan. Sur un plateau blanc et nu, hors quelques portants pour des vêtements, la mise en scène que signe également le jeune homme allie simplicité et inventivité, et trouve le chemin, notamment grâce à quelques sobres projections vidéo d’une théâtralité éloquente et dépouillée. Chacun y trouve sa place : Serge Avédikian en père aimant à l’égoïsme de survie, Marilou Aussilloux en jeune sœur raisonnable et révoltée, qui deviendra mère de son frère, et Théo Askolovitch, en lui-même, plein de dérision, mais pas trop, simplement sincère et touchant, renouant avec les forces de la vie, qui fait toujours monter le malheur à son bord.
Eric Demey – www.sceneweb.fr
Zoé [et maintenant les vivants]
Mise en scène et texte Théo Askolovitch
Avec Théo Askolovitch, Marilou Aussilloux, Serge Avédikian
Assistant à la mise en scène Flavien Beaudron
Stagiaire à la mise en scène Mathilde Ngasi
Collaboration artistique Marilou Aussilloux
Création son Samuel Chabert
Création lumière Nicolas Bordes
Création vidéo Jules Bonnel, Robinson Guillermet
Costumes Juliette ChambaudProduction Compagnie Saiyan
Production déléguée Prémisses – Office de production artistique et solidaire pour la jeune création
Coproduction Théâtre Ouvert – Centre national des dramaturgies contemporaines
Soutiens Comédie de Caen – Centre dramatique national de Normandie, Région Île-de-France dans le cadre de l’ÉPAT, Fond SACD, Odéon – Théâtre de l’Europe, Théâtre de Suresnes Jean VilarLe texte est édité chez Esse que Éditions.
Durée : 1h20
Vu en octobre 2023 à Théâtre Ouvert, Paris
Théâtre de la Bastille, Paris
du 20 novembre au 5 décembre 2025




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