Le metteur en scène Yves Beaunesne est sous les feux de l’actualité en ce mois de mai. Le tout nouveau directeur du Centre Dramatique National de Poitou-Charentes (lire par ailleurs sont interview sur ce sujet) présente deux spectacles à Paris. La reprise du Récit de la servante Zerline à l’Athénée avec Marilù Marini qui avait été créé à la Coursive de la Rochelle et la création au Vieux-Colombier de On ne badine pas avec l’amour de Musset, avec une distribution éblouissante : Roland Bertin, Pierre Vial, Danièle Lebrun – pour son retour au Français qui a la lourde tâche de reprendre le rôle que devait interpréter Hélène Surgère, et Julie-Marie Parmentier et Loïc Corbery dans les rôles de Camille et Perdican. Rencontre avec un acharné du travail
Vous êtes dans un état schizophrène en ce moment ?
Non, en mai fait ce qu’il te plaît. J’ai cette chance d’avoir été invité par Muriel Mayette pour monter One ne badine pas avec l’amour et de reprendre Le Récit de la servante Zerline à l’Athénée avec l’immense Marilù Marini qui avait été créé à la Coursive de la Rochelle. Cette question lancinante de la lutte des classes et de la féminité figurent dans les deux pièces. Les hommes sont lents et les princes du délit de fuite. Les femmes sont là pour les recentrer. Dans une pièce comme dans l’autre il y a ces éléments et je suis heureux de pouvoir les faire se répondre.
C’est une femme Muriel Mayette qui vous a donc demandé de mettre en scène le Musset….
Je suis très content de monter cette pièce, j’ai une fascination pour Musset. J’ai d’abord monté Il ne faut jurer de rien puis Lorenzaccio, alors quand Muriel m’a proposé Badine c’est comme si quelqu’un avant entendu que j’avais ce désir. Et puis c’était l’occasion de faire rentrer à la Comédie-Française Julie-Marie Parmentier qui apporte à Camille – Perdican étant interprété par Loïc Corbery – une sensibilité moderne. Elle n’a pas fait d’école, elle s’est formée sur le tas au contact de grands metteurs en scène de cinéma, c’est une fille de « la balle ». C’est magnifique de voir la façon avec laquelle elle construit ses rôles avec son « jeu cinéma ». Camille possède la modernité de Julie-Marie.
C’est une pièce sur l’adolescence qui a traversé les générations. Qu’est ce qu’elle raconte de l’adolescence d’aujourd’hui ?
Elle raconte une adolescence qui doit se faire elle-même. La plupart des jeunes gens d’aujourd’hui se demandent ce qui les attend demain ? Pratiquement rien ! Tout est à acheter et tout est à vendre, mais l’on ne propose pas grand-chose qui les fasse rêver. Dans la pièce il y a une sorte de génération absente qui est celle des parents, celle qui donne les repères, qui dit oui, qui dit non. J’ai construit cette pièce sur ce vide des parents et donc les jeunes gens sont confrontés comme repère aux seuls grands-parents. Il y a de grands anciens pour cela dans la distribution, Roland Bertin, Pierre Vial, Danièle Lebrun – qui remplace avec beaucoup de tact Hélène Surgère qui nous a quittés. Je pense que cela renvoi à aujourd’hui car beaucoup de jeunes ont le sentiment d’avoir un manque d’adultes qui leur parle avec force. Ils sont contraints de se former seuls et cette initiation que raconte la pièce se fait en toute liberté et sans garde fou. Ils sont confrontés au jeu de la vérité. Musset raconte dans cette histoire que la vie est tragique. C’est fait avec le sang du poète. Nous sommes dans un monde industriel qui a beaucoup à raconter avec le monde d’aujourd’hui et notre perte de valeurs, comme la montée du capitalisme.
Finalement vous décrivez un Musset politique loin de la première lecture de la pièce…
Oui mais je n’en fait pas un brûlot politique. Je pense que le théâtre est politique sans avoir besoin de le dire. Et en replaçant l’action de la pièce juste avant 68, c’est une manière de dire que beaucoup de choses sont en attente. La France reste un pays où l’on peut continuer à rêver. Il faut continuer de proposer des rêves au Monde. Le fait que les pays arabes dans leur révolte se tournent vers la France dit à quel point nous restons le pays des droits de l’homme. Musset était plongé dans cette idée là. Après 1789 il se disait « on s’est éloigné de cet esprit là, mais il faut se battre pour le raconter ». Lui le raconte à sa manière à travers la lutte de ces deux jeunes gens, qui même s’ils vivent dans des milieux favorisés, ont besoin de s’ancrer dans le monde d’aujourd’hui. Et cela renvoie à tout le monde cette nécessité de rester adolescent toute une vie.
Propos recueillis par Stéphane CAPRON – www.sceneweb.fr
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