Dans Ysteria, Gérard Watkins s’intéresse à l’un des mystères humains les plus anciens : l’hystérie. Entre fiction contemporaine et enquête historique, il ressuscite l’esprit des fameuses « leçons du mardi » du professeur Charcot. Une réjouissante folie.
Réunis autour d’une table, Julie Denisse, David Gouhier et Clémentine Ménard partagent leurs inquiétudes. Et elles sont nombreuses. Exprimées pêle-mêle, dans une excitation typique de sortie de bureau, elles concernent pour beaucoup un certain Arthur qui vient de perdre son emploi à la pizzeria où a lieu la réunion plus ou moins informelle. Au fil de la discussion animée, on grapille des informations sur l’identité des personnages qu’incarnent les uns et les autres, ou plutôt sur la fonction – des médecins, qui parlent de leurs patients – qu’ils endossent. On devine les liens qui les unissent, les incompréhensions qui les séparent. On formule des hypothèses pour comprendre ce qui n’est pas encore formulé. Avec sa belle énergie qui témoigne du travail au plateau qui les a vus naître, cette entrée en matière d’Ysteria rassure : loin de chercher à expliquer l’hystérie, Gérard Watkins et ses cinq comédiens en réactivent le mystère, le pouvoir de fascination.
Alors que le mot « hystérie » a disparu du langage médical pour être remplacé par diverses expressions telles que « trouble de conversion hystérique », Gérard Watkins imagine un lieu dédié à ce phénomène qui a depuis l’Antiquité fait couler l’encre de bien des grands. De Platon, de Freud ou encore d’Aragon et d’André Breton, pour qui l’hystérie était la plus grande découverte poétique de la fin du XIXème siècle. L’invention d’un centre pseudo-hospitalier permet à l’auteur et metteur en scène d’échapper au didactisme et de s’autoriser des parenthèses historiques bienvenues. Car si la clinique spécialisée de Gérard Watkins, où sont pratiquées plusieurs approches – psychanalyse freudienne et jungienne, hypnose ou encore art thérapie –, est clairement ancrée dans notre époque, la manière dont on y exhibe les patients fait très XIXème siècle. Mis en situation de voyeur, le spectateur est aussi invité au voyage.
Le professeur Charcot, avec ses fameuses « leçons du mardi » à la Salpêtrière, n’est en effet pas loin dans Ysteria. Derrière leurs euphémismes compliqués, les trois médecins de la pièce cachent un mélange de cruauté et de grande curiosité. Un goût pour le jeu, également, que les comédiens expriment en se plaçant à la lisière du comique. Sans jamais franchir le seuil de caricature. Issus de l’École Régionale d’Acteurs de Cannes et Marseille, Malo Martin et Yitu Tchang sont quant à eux des patients d’un réalisme, d’une sensibilité remarquable et sans pathos, qui doit sans doute beaucoup à Lisa Ouss-Ryngaert, médecin pédopsychiatre de l’hôpital Necker sollicitée par Gérard Watkins. Au cœur de la pièce, la relation médecin-patient questionne subtilement un autre rapport. Celui qui unit public et comédiens, où l’on peut voir aussi une forme de thérapie. Et de rituel.
Burlesques pour certaines, tragiques pour les autres, les incursions de l’Histoire dans la fiction médicale d’Ysteria sont pleines d’une magie qui a depuis disparu de nos représentations collectives. Très documentées, ces plongées dans le passé antique, médiéval et renaissant fragmentent intelligemment le spectacle. Elles participent à sa richesse composite, et offrent une précieuse mise en perspective de la place et du traitement de la folie dans nos sociétés. Et incitent au bouleversement de nos catégories.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Ysteria
Texte, mise en scène et scénographie Gérard Watkins
Avec
Julie Denisse,
David Gouhier,
Malo Martin,
Clémentine Menard,
Yitu TchangLumières
Anne Vaglio
Création sonore
François VatinProduction (en cours) Perdita Ensemble, compagnie conventionnée par la DRAC Ile de France
Coproduction TnBA – Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine
Avec le soutien du Fonds d’Insertion pour Jeunes Artistes Dramatiques – DRAC et Région Provence Alpes Côte d’Azur
Avec le soutien du Fonds SACD Théâtre, d’Arcadi Ile-de-France et de la SPEDIDAMAdministration de production Le petit bureau – Virginie Hammel & Claire Guièze
Durée estimée 2h
Du 7 au 16 mars 2019
Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine
Mar à Ven 20h / Sam à 19h
TnBA – Salle VauthierDu 21 mars au 14 avril 2019
Théâtre de la Tempête – Paris
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