A l’Opéra de Lyon, Krzysztof Warlikowski exacerbe la brutalité et la virilité musclées d’une prison contemporaine dans De la maison des morts de Leoš Janáček.
Du dernier opéra de Janáček, la mise en scène signée par Patrice Chéreau en 2007, et reprise de nombreuses fois depuis, y compris après la mort de l’artiste, passe pour un modèle de perfection. Aussi fidèle à la lettre qu’à la note de cette œuvre puissante, le spectacle mettait à nu l’irréductible humanité d’un univers carcéral gris et glacé. Pour autant, la version que propose Warlikowski de De la maison des morts la surpasse aujourd’hui.
Sa manière d’électriser l’espace et les corps est sidérante. En pénétrant dans les entrailles d’un centre pénitentiaire d’aujourd’hui, aux murs bétonnés, tagués et grillagés, placé sous l’autorité de gardiens à matraques et de caméra de surveillance, on est évidemment loin du bagne sibérien auquel renvoie Dostoïevski, inspirateur du livret. Le lieu est américanisé, peuplé d’un groupe de prisonniers multiethniques d’une incroyable incandescence. Leur vitalité dans l’oppression s’affirme dans chacun de leur mouvement. A cela s’ajoute la présence de trois hip-hopeurs survitaminés et d’un jeune homme noir de peau, surnommé l’Aigle parce qu’il arbore un oiseau royal sur sa veste de jogging, symbole d’une liberté perdue, qui s’applique à dribbler son ballon de basket et enchaîne les paniers avant de perdre l’usage de ses jambes au cours d’une rixe, et de finir en fauteuil roulant.
Les scènes d’échauffourées extravertissent l’agressivité des prisonniers, mais aussi la sensualité ambiguë de leurs corps. Prenant le parti d’un grotesque assumé, les pantomimes scabreuses et salaces de l’acte II traduisent avec force et dérision leur frustration et leur désir de transgression. Il y a quelque chose de perpétuellement grouillant et intranquille dans ce travail de Krzysztof Warlikowski. La direction d’acteurs est nerveuse et hyperphysique. De ce point de vue, le ténor Nicky Spence fait une composition phénoménale.
Musicalement, dès les retentissants bruits de chaines métalliques qui couvrent le plaintif et émouvant prélude, l’orchestre excellemment dirigé par Alejo Pérez met en valeur avec un volume saisissant les aspérités les plus dures et drues de cette musique si expressive. La distribution parfaitement homogène, mais jamais uniforme, fait preuve d’un fort et nécessaire engagement très bénéfique à la cohésion de la production. Sir Willard White est un charismatique et paternaliste Goriantchikoh, Pascal Charbonneau, idéal de juvénilité et d’ambiguïté, ne tombe pas dans une caractérisation trop frêle ou angélique d’Aljeja, mais donne au contraire plein de reliefs au jeune tatar. Stefan Margita est un Morosov plein de rage, puis de remords, qui finit par se suicider en répandant son sang sur l’émail blanchâtre du lavabo de sa cellule, tandis que Chichkov (solide Karoly Szemeredy) a reconnu en lui l’amant de la femme qu’il a assassinée. Pour ses premiers pas sur la scène de l’Opéra de Lyon, Krzysztof Warlikowski présente avec De la maison des morts un spectacle très abouti, aussi poignant que captivant.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
De la maison des morts de Leoš Janáček
Opéra en trois actes et deux tableaux ; livret du compositeur, d’après Souvenirs de la maison des morts de Dostoïevski
Direction musicale, Alejo Pérez
Mise en scène, Krzysztof Warlikowski
Décors et costumes, Małgorzata Szczęśniak
Lumières, Felice Ross
Chorégraphie, Claude Bardouil
Vidéo, Denis Guéguin
Dramaturgie, Christian Longchamp
Alexandre Petrovitch Gorjantchikov : Sir Willard White
Aljeja, un jeune Tartare : Pascal Charbonneau
Filka Morosov, prisonnier sous le nom de Luka Kuzmich : Stefan Margita
Le Grand Forçat : Nicky Spence
Le Commandant : Alexander Vassiliev
Le Très Vieux Forçat : Graham Clark
Skouratov : Ladislav Elgr
Tchekunov : Ivan Ludlow
Le Forçat ivrogne : Jeffrey Lloyd‑Roberts
Un Forçat (jouant les rôles de Don Juan et du brahmane) : Ales Jenis
Le Jeune Forçat : Grégoire Mour
Une prostituée : Natascha Petrinsky
Kedril : John Graham‑Hall
Chapkine : Dmitry Golovnin
Chichkov et Le Pope : Karoly Szemeredy
Tcherevine : Alexandr Gelah
Orchestre et Chœurs de l’Opéra de Lyon
Nouvelle production, en coproduction avec Covent Garden de Londres et la Monnaie/De Munt de BruxellesDurée : 1h40
Opéra de Lyon
Du 21 janvier au 2 février 2019
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