Au Théâtre des Abbesses, Pierre Meunier et Marguerite Bordat s’immergent dans la vase. A mi-chemin entre le burlesque et le théâtre scientifique, leur spectacle aux ressorts doux dingues laisse un goût d’inachevé.
Après s’être attaqué à la roche dans Le Tas et au métal dans Le Chant du ressort, Pierre Meunier a décidé de changer son fusil d’épaule. Plutôt que de mettre à l’épreuve la dureté de certaines matières, le circassien d’origine s’est frotté, avec l’aide de sa fidèle comparse Marguerite Bordat, à la mollesse de la vase. Substance repoussante par excellence, assimilée à la saleté, aussi inquiétante qu’opaque, elle a pourtant fasciné le duo de créateurs de La Belle Meunière grâce au curieux mystère qu’elle génère.
Revenus de la Baie de Somme où ils s’y sont eux-mêmes immergés, Pierre Meunier et Marguerite Bordat livrent un spectacle théâtral et plastique, aux confins de l’art scientifique et de l’absurdité burlesque. Sur scène, autour d’une immense cuve qui renferme la matière bouillonnante – pour des questions d’hygiène et des commodités de transport, il ne s’agit en réalité pas de vase mais d’argile qui dispose de caractéristiques physiques similaires –, s’affaire un aréopage de laborantins un peu fous. Guidés par une mystérieuse voix qui leur intime de « suivre le protocole », ils réalisent un ensemble d’expériences pour apprécier les propriétés de cette substance hors norme. Et, peu à peu, celles-ci se révèlent : elle enveloppe ceux qui y plongent, les fait perdre en adhérence, et peut même les absorber jusqu’à les faire totalement disparaître.
Plongés dans une ambiance sonore et visuelle qui souligne la dimension inquiétante de leur terrain de jeu, ces chercheurs pieds nickelés, surveillés de près par un ersatz d’inspecteur du travail un peu baroque, oscillent entre méfiance et attraction, attirance et répulsion. Dans un laboratoire qui tombe progressivement en lambeaux sous les coups de boutoir d’une matière devenue incontrôlable, la vase prend le pouvoir expérience après expérience. Tout se passe alors comme si le vivant qu’elle contenait était capable de charmer les humains, de les envoûter jusqu’à leur faire perdre le sens des réalités.
Duo de créateurs empiriques, qui partent des expériences vécues pour échafauder leur spectacle, Pierre Meunier et Marguerite Bordat accouchent d’une pièce déroutante où les jolis instants scénographiques, élaborés à partir du polymorphisme de la matière, le disputent à l’incongruité d’une situation aux ressorts déjantés. Porté par cinq comédiens qui ne lésinent jamais dans leur engagement corporel, le spectacle tente d’aller au-delà du simple théâtre scientifique, de le transcender par un discours social et politique. Coupable d’enlisement des corps solides, la vase ne symboliserait-elle pas la perte de stabilité de nos sociétés, la disparition des repères du corps social ? Avec celle éminemment téléphonée d’un mélange des matières, et donc des origines, c’est en tout cas une des pistes de réflexion que semble ouvrir le duo d’artistes.
Et pourtant, au sortir, La Vase laisse comme un goût d’inachevé. Partisans de la voie médiane, à mi-chemin entre théâtre scientifique et burlesque doux dingue, Pierre Meunier et Marguerite Bordat ne font qu’esquisser l’exploration de ces deux pistes. Jamais totalement fascinant, jamais complètement hilarant – malgré certaines scènes réussies comme celle de la destruction du laboratoire – leur spectacle souffre de quelques faiblesses textuelles et d’un manque de rythme dramaturgique qui provoquent un léger envasement. Parti d’une idée de départ pour le moins séduisante, il verse parfois dans le remake de « Mimi Cracra », où les ravages causés au plateau se suffiraient à eux-mêmes. Aussi nécessaire soit-elle dans un spectacle de la sorte, cette cause n’est pas suffisante pour que le charme de la vase opère complètement.
La Vase
Conception & mise en scène : Pierre Meunier et Marguerite Bordat
Une fabrication collective
Avec Thomas Mardell, Pierre Meunier, Jeanne Mordoj, Frédéric Kunze, Muriel Valat
Son : Géraldine Foucault, Hans Kunze, avec la collaboration de Thierry Madiot
Lumières : Bruno Goubert
Régie générale & lumières : Florian Meneret
Régie son : Hans Kunze
Construction : Jeff Perlicius
Avec les voix de Fröde Bjornstad, Valérie Schwarcz, Dominique Dreyfus et Youjin Choi
Production / Diffusion : Florence Kremper
Administration : Caroline Tigeot
Production : La Belle Meunière
La Belle Meunière est une compagnie à rayonnement national et international et reçoit le soutien du ministère de la Culture–DRAC Auvergne-Rhône-Alpes, du conseil régional d’Auvergne-Rhône-Alpes et du conseil départemental de l’Allier. Pierre Meunier est artiste-compagnon de Culture Commune depuis 2015
Coproduction : La Comédie de Clermont-Ferrand, scène nationale – Théâtre de la Ville-Paris – Culture Commune, scène nationale du Bassin minier du Pas-de-Calais – Les 2 Scènes, scène nationale de Besançon – Centre dramatique national Besançon Franche-Comté – Le TJP, centre dramatique national d’Alsace-Strasbourg – Le Tandem, scène nationale Douai-Arras. Avec le soutien des Grands Ateliers à Villefontaine (projet AMACO), La Filature, scène nationale-Mulhouse, Grame/Biennale Musiques en scène 2018 et du Fonds SACD Théâtre
Spectacle créé à la Comédie de Clermont-Ferrand, le 6 novembre 2017Théâtre des Abbesses, Paris
Du 8 au 22 janvier
TJP – Centre dramatique national d’Alsace Strasbourg
Du 31 janvier au 2 févrierL’Hippodrome, Douai
Les 8 et 9 févrierLa Comédie de Béthune
Les 15 et 16 févrierLa Filature, Mulhouse
Les 21 et 22 février
Les 2 Scènes, Besançon
Du 6 au 9 marsThéâtre Nouvelle Génération – CDN de Lyon
Du 14 au 16 marsLe Lieu unique, Nantes
Les 20 et 21 marsL’Hexagone, Meylan
Les 15 et 16 mai
Théâtre Garonne, Toulouse
Du 23 au 25 mai
Que penser d’un critique qui n’a pour point de référence que MIMI CRACRA c’est vraiment donner de la boue à des cochons c’est le cas de dire . Ce spectacle est total. D’enfer. De bout en bout. Ne lisez pas trop sérieusement ces articles pas très sérieux de Sceneweb pour vous faire votre propre opinion.