SÉCURILIF © : le théâtre à l’épreuve de la sécurité
« Hymne grinçant à la rassurance », SÉCURILIF © de Marguerite Bordat et Pierre Meunier interroge les mécanismes sécuritaires qui fleurissent dans nos sociétés. Composée de fragments inégaux, la pièce oscille entre dénonciation et divertissement sans trouver sa forme.
C’est par des formules alambiquées que commence SÉCURILIF ©. Un paquet d’affiches publicitaires sous le bras, Bastien Crinon se débat avec un texte où la sécurité se donne des airs savants. Avant que, vêtues de robes blanches style demoiselle d’honneur, Suzanne Da Cruz et Valérie Schwarcz entament une petite danse de plateau télé, il avoue remplacer au débotté sa collaboratrice. Laquelle, la pauvre, s’est fait électrocuter. Dans son charabia, le présentateur remplaçant parvient de justesse à faire comprendre son intention : vendre aux spectateurs sujets au vertige un produit, ou un service sensé les rassurer. Proposition illustrée par les deux danseuses qui amènent sur le plateau un échafaudage monté sur roulettes, sur lequel l’une d’elles entame une ascension grotesque. L’intention est claire : pour massacrer le tout-sécuritaire, SÉCURILIF © entend s’y prendre par le rire.
Dans les scènes qui suivent, les trois comédiens abordent d’autres situations de risque, avant de proposer des solutions toutes aussi absurdes que la première. À chaque problème, la société fictive éponyme a son lot de remèdes qui se veulent comiques. Et qui le sont plus ou moins. L’épisode du « bubble man » est l’un des plus réussis : dans un énorme costume de plastique qui empêche le moindre de ses mouvements, l’une des deux comédiennes y est la cible de multiples simulations d’agression qui déclenchent son rire. Le moment où, sans prévenir, les techniciens du spectacle plongent le plateau dans le noir complet, est intéressant pour ce qu’il provoque dans le public. Retour au gag avec le passage consacré à la « fête du portail », délicieux. D’autres tentatives sont moins heureuses. L’humour est parfois écrasé par le discours. Il peine souvent à porter du sens.
À la Maison des Métallos, où il est présenté dans le cadre du « CoOp » ou carte blanche qui leur est accordé au mois de janvier 2020 – c’est une seconde expérience pour Marguerite Bordat et Pierre Meunier, qui ont déjà été invités dans le lieu la saison dernière, quand Stéphanie Aubin venait d’en prendre la tête –, SÉCURILIF © s’inscrit dans un riche chantier de réflexion sur la sécurité. Sans doute les spectateurs qui ont assisté à la conférence du professeur de civilisation américaine et spécialiste du cinéma burlesque sur « Les burlesques et le risque » ont-ils vécu autrement la proposition théâtrale. De même que ceux qui sont venus écouter la philosophe Marie-José Mondzain sur le thème « Voir ou ne pas voir ? » (15 janvier), ou encore ses confrères Frédéric Gros et Dominique Quessada, qui posent d’autres questions : « Et si la sécurité était notre plus grande menace ? », et « Pourquoi notre époque est tellement en demande de murs, et de protections de tous ordres ? ».
Seul, SÉCURILIF © manque à son ambition. Trop peu développée pour offrir aux tableaux successifs un cadre solide, la fiction de la société éponyme apparaît comme un prétexte au défoulement. Dans leurs précédents spectacles, comme l’excellent Buffet à vif (2014), dont toute la dramaturgie était construite autour de la destruction en direct d’un meuble, Marguerite Bordat et Pierre Meunier ne s’embarrassaient pourtant pas de justifications. Au lieu d’explorer des pistes variées, aussi bien en termes de forme que de propos, la pièce aurait sans doute gagné à être centrée autour d’un seul axe de recherche, tel que les liens entre culture et sécurité. SÉCURILIF ©, disent les artistes dans leur dossier, a comme intention « de désinquiéter le champ culturel tout en donnant à la sécurité ses lettres de noblesse ». Chose hélas trop peu visible sur le plateau, où une énergie proche du cabaret l’emporte sur la pensée au lieu de la stimuler.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
SÉCURILIF ©
Création : La Belle Meunière
Marguerite Bordat et Pierre Meunier
Avec : Suzanne Da Cruz, Bastien Crinon et Valérie Schwarcz
Textes de Pierre Meunier
Création lumière de Bruno Goubert assisté de Morgan Romagny
Création sonore de Hans Kunzeen collaboration avec Géraldine Foucault
Construction : Florian Méneret et Jeff Perlicius
Fabrication du bubble man : Camille Lamy
Régie générale et régie lumière : Florian Méneret
Régie son : Hans Kunze
Administration : Caroline Tigeot
Production, diffusion : Florence Kremper et Céline AguillonProduction : La Belle Meunière
Coproductions : Théâtre des Ilets, Centre dramatique national de Montluçon – Théâtre de Lorient, Centre dramatique national – Culture Commune, Scène nationale du Bassin minier du Pas-de-Calais.La Belle Meunière est conventionnée par le Ministère de la Culture – DRAC Auvergne-Rhône-Alpes, le Conseil Régional d’Au-vergne-Rhône-Alpes, et le Conseil Départemental de l’Allier.
Pierre Meunier et Marguerite Bordat sont artistes – compagnons de Culture Commune depuis 2015.
Pierre Meunier est auteur associé au Théâtre des Ilets, Centre dramatique national de Montluçon.Durée : 1h30
La Maison des Métallos
Du 14 au 26 janvier 2020Culture Commune – Scène nationale du bassin minier du Pas-de-Calais
Les 13 et 14 février 2020
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