Après La Collection, Ludovic Lagarde s’empare du pas de deux en un acte d’Harold Pinter, mais peine, malgré la présence de Valérie Dashwood et Laurent Poitrenaux, à en révéler toute la pertinence.
Canapé longiligne, escalier tournant orné d’un tapis, espace dual structuré par des murs en noir et blanc comme pour mieux ausculter les zones grises pinteriennes… Conçu par Antoine Vasseur, le décor de L’Amant ravive, d’entrée de jeu, le doux souvenir esthétique de La Collection, montée, voilà quatre ans, par Ludovic Lagarde aux Bouffes du Nord. Dans le sillage de Claude Régy qui, en 1965, avait déjà réuni ces deux pièces de Pinter lors de leur création en France, le metteur en scène lie aujourd’hui la seconde à la première au long d’une seule et même soirée, orchestrée au Théâtre de l’Atelier, et offre une plongée dans le fameux « théâtre de la menace » du dramaturge britannique, où les relations de couple sont passées à la paille de fer pour révéler les vrais désirs et les faux semblants dissimulés sous les masques des différents partenaires. Comme s’ils avaient été extraits du quatuor qu’ils forment avec Mathieu Amalric et Micha Lescot dans La Collection, Valérie Dashwood et Laurent Poitrenaux se retrouvent alors seul à seul, ou plutôt face à face, dans L’Amant, ce pas de deux conjugal qui échoue à renouer avec la sublime perversité de son prédécesseur.
Bourgeois jusqu’au bout des ongles, Sarah et Richard semblent, à première vue, former un couple heureux et bien sous tous rapports. À ceci près que, pendant que lui s’échine dans son travail, ennuyant et chronophage, à la City, elle passe une bonne partie de ses après-midi dans les bras de son amant, Max, qu’elle reçoit, aux alentours de 15 heures, dans le salon de leur maison de banlieue. Ce qui, dans un vaudeville traditionnel, tournerait à la comédie potache fondée sur la figure du mari cocu, trouve, chez Pinter, une résonance plus profonde quand l’homme et la femme se mettent à parler en toute transparence de ce sujet, mais aussi de la relation parallèle que Richard entretient, de son côté, avec une « pute » à qui il rend visite tout aussi régulièrement. Déjà pour le moins étonnante, la situation devient détonnante lorsque, à 15 heures tapantes, l’amant sonne à la porte et, qu’une fois le laitier passé, on découvre Richard, vêtu d’une tenue beaucoup plus décontractée que le costume-cravate avec lequel il était parti le matin même. C’est alors que le jeu de rôles marital se dévoile, celui d’un couple qui mène une double vie non pas l’un sans l’autre, mais l’un avec l’autre.
Sans doute moins surprenante à une époque, la nôtre, où les formes relationnelles communément admises par la société sont légion et où, par l’intermédiaire du numérique et des avatars virtuels, les jeux de rôles ont contaminé notre quotidien, qu’au début des années 1960 où elle a été écrite, la pièce d’Harold Pinter n’en reste pas moins pertinente dans sa façon de disséquer les moteurs du désir au sein d’un duo conjugal. Alors que Sarah et Richard pensaient avoir trouvé la martingale en se servant d’un scénario pour concrétiser leur volonté d’émancipation, ils tombent sur un os lorsqu’ils se rendent compte qu’il est trop caricatural et alimenté par des pulsions un peu trop communes – le malfrat qui vient malmener la sage épouse au foyer, l’homme qui retrouve une prostituée entièrement acquise en robe sexy et en talons de dix – pour remplir entièrement son office.
Malheureusement, à l’épreuve du plateau, Ludovic Lagarde échoue, au moins partiellement, à aiguiser ces multiples enjeux, et paraît dilater l’intrigue pinterienne jusqu’à l’entraîner dans un faux rythme qui leste la pièce au lieu de lui donner l’énergie nécessaire pour advenir dans toute sa complexité. Tout se passe comme si le metteur en scène n’était pas parvenu à aller réellement au-delà de la surface et s’était servi des silences ménagés par le dramaturge britannique pour les surcharger en intentions, jusqu’à lui-même se faire prendre au piège du bal masqué et ne pas réussir à faire sonner théâtralement juste ce qui, dans son essence même, est faux. Malgré la performance de Valérie Dashwood et Laurent Poitrenaux, qui donnent un caractère bien trempé et une aura vénéneuse aux personnages de Sarah et Richard, L’Amant passe alors pour ce qu’il n’est pas : un drame vaguement grinçant et petit-bourgeois, sous-tendu par le caprice érotique d’un couple qui s’ennuie. Or, avec la force qu’on lui connaît, le théâtre de Pinter méritait, sans aucun doute, d’atteindre une autre dimension.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
L’Amant
Texte Harold Pinter
Traduction Olivier Cadiot
Mise en scène Ludovic Lagarde
Avec Valérie Dashwood, Laurent Poitrenaux, Guillaume Costanza
Lumière Sébastien Michaud
Scénographie Antoine Vasseur
Costumes Marie La Rocca
Maquillages, perruques et masques Cécile Kretschmar
Réalisation sonore David Bichindaritz
Conception vidéo Jérôme TuncerProduction Théâtre National de Bretagne, Compagnie Seconde nature
Coréalisation Théâtre de l’AtelierL’Arche est l’agent théâtral du texte représenté.
Durée : 55 minutes
Théâtre de l’Atelier, Paris
du 3 au 25 juin 2023
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