Le directeur de La Criée, à Marseille, achève sa série racinienne avec une nouvelle version de son adaptation de Phèdre. Une proposition épurée, au plus près du texte d’origine, qui peine à tendre jusqu’à nous.
Robin Renucci achève sa quadrilogie autour de l’oeuvre de Jean Racine entamée aux Tréteaux de France lorsqu’il en était le directeur de 2011 à 2022. Après Bérénice, Britannicus et Andromaque, c’est donc Phèdre qui est présentée à La Criée, dont il a pris la direction en 2022 à la suite de Macha Makeïeff. Le dispositif est le même que dans les trois précédentes créations : un décor simple et modulable, composé de quatre colonnes lumineuses délimitant un espace central où les passions raciniennes peuvent se déployer, et autour duquel les comédiens et comédiennes restent à vue, ne quittant jamais le plateau. Ici, une estrade circulaire de bois marqueté vient s’ajouter. En son centre, la machinerie cruelle imaginée par Vénus va pouvoir éclore, entraînant à la suite de Phèdre, consumée par son amour incestueux et impossible pour Hippolyte, fils de Thésée, roi d’Athènes, toute la famille vers la déchéance. Agissant tel un maelström, le centre attire le geste ultime – les révélations, la trahison, la mort – et les émotions les plus intenses, tandis que les intrigues parallèles se jouent en périphérie.
Fin connaisseur du fait racinien, Robin Renucci n’hésite pas à s’approcher au plus près du texte d’origine, n’occultant ni les combinaisons politiques, qui succèdent à la mort présumée de Thésée et qui sous-tendent les décisions de Phèdre, ni l’importance narrative des personnages secondaires – Théramène, Ismène, Panope et, bien entendu, Oenone. En proposant une Phèdre retenue et presque sobre – mesurée Marilyne Fontaine –, la direction d’acteurs tente de faire davantage de place à Hippolyte, trop souvent simplifié en amoureux transit, pour l’ériger en figure de l’innocence sacrifiée, emportée par la violence des passions et par une cruauté paternelle aveugle et disproportionnée. Le tout étant pensé comme un écrin épuré, à même « de faire vibrer avec limpidité les alexandrins raciniens dans toute leur poésie et leur beauté funeste », avec l’ambition « d’aiguiser les capacités d’agir du spectateur, de lui donner des outils d’émancipation » afin de « retrouver le commun dans lequel nous replace le verbe », selon le dossier de présentation.
Malheureusement, cette nouvelle version pâtit en premier lieu de son adaptation frontale pour la grande salle de La Criée, ce qui ne rend pas hommage au dispositif scénique, sûrement plus efficace en quadri-frontal, comme il était initialement présenté en 2023, et dans une jauge plus réduite, ce qui permet – on l’imagine – un accès plus intime et immersif au texte. La proposition, qui devait s’atteler à dévoiler les rouages d’une tragédie mise à nu, peine ainsi à faire écumer jusqu’à nous la langue racinienne, tandis que le hors-jeu se résume ici à de simples entrées et sorties des personnages depuis leurs sièges qui entourent l’estrade, sans réelle réflexion sur la nouvelle disposition du plateau. Seule adaptation notable apportée à cette version frontale : un préambule où les huit comédiens et comédiennes exposent le déroulé des faits et résument l’intrigue. Maigre consolation.
Ne reste alors que l’alexandrin qui, trop inégalement manié – parfois parfaitement maîtrisé, parfois emprisonnant un jeu verrouillé –, ne suffit pas à nous rapprocher de la proposition, et ce malgré l’implication des comédiens et comédiennes, à commencer par Eugénie Pouillot, tourbillonnante Aricie. En dépit de l’accompagnement d’un important dispositif d’accès aux publics – notamment à destination des plus jeunes –, Robin Renucci ne parvient ici ni à éclairer Phèdre d’un regard nouveau ni à imaginer les moyens scéniques de son ambition : rendre accessible l’exigence de l’alexandrin au plus grand nombre et faire ruisseler jusqu’à nous son amour pour la langue racinienne. En tout cas, pas dans cette configuration.
Fanny Imbert – www.sceneweb.fr
Phèdre
de Jean Racine
Mise en scène Robin Renucci
Avec Nadine Darmon, Marilyne Fontaine, Solenn Goix, Serge Nicolaï, Patrick Palmero, Eugénie Pouillot, Ulysse Robin, Chani Sabaty
Scénographie Samuel Poncet
Créatrice lumières Sarah Marcotte
Costumes Jean-Bernard Scotto
Perruques Maurine BaldassariProduction La Criée
Durée : 2h
La Criée, Théâtre national de Marseille
du 8 au 12 janvier 2025
Théâtre Scènes des Trois Ponts, Castelnaudary
le 14 janvierThéâtre Ducourneau, Agen
les 16 et 17 janvier
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