Programmée dans le cadre du temps fort « Tu fais quoi dans la vie ? » au Maillon à Strasbourg, la nouvelle création de Bérangère Jannelle interroge la place de l’argent dans nos sociétés.
La Toccata et fugue en ré mineur de Johann Sebastian Bach résonne dans la petite salle du théâtre. Ou n’est-ce pas plutôt la mélodie du générique de la série d’animation française Il était une fois… l’Homme ? Des générations entières ont été bercées par la musique de ces épisodes de vulgarisation scientifique et historique à destination des enfants, diffusés à la télévision à partir de 1978. Bérangère Jannelle (Melancholia europea, Les monstres, Lucy in the sky est décédée) convoque ces notes mythiques dans sa nouvelle pièce Une histoire de l’argent racontée aux enfants et à leurs parents, créée au Maillon, théâtre de Strasbourg, le 25 mars. Le titre en résume l’essence. La metteuse en scène respecte ses promesses en proposant au public, dès 10 ans, une chronologie de l’émergence de la monnaie, de sa création à nos jours. Mais l’intrigue peine à se mettre en place et l’on cherche, de longues minutes durant, où est passé le théâtre sur cette belle scène, avant le basculement vers un propos plus exaltant.
Découpé en de multiples séquences, le spectacle se scinde en deux grandes parties. Bérangère Jannelle débute avec une première moitié atone, sans reliefs sous forme d’un quizz entre les deux acteurs et le public retraçant dans les grandes lignes l’apparition de l’économie dans le monde. Une fois cette longue chronologie évacuée, la pièce retrouve des couleurs grâce à une seconde moitié plus critique. Consacrée à l’industrialisation en marche jusqu’à nos jours et à ses dérives, cette partie apparaît davantage en lien avec nos questionnements contemporains. Les interrogations chuchotées dans le public en témoignent.
Grâce au détournement des denrées alimentaires en objets du quotidien, la pédagogie règne en maître sur scène. Une boîte de sardine devient téléphone, les haricots et pois chiche des pièces de monnaie et les boîtes de conserve prennent la forme de boules de pétanque. Pour manipuler tous ces articles comme les comptables manient les chiffres, deux comédiens énergiques : David Clavel et David Migeot. En chaussettes sur scène, ils incarnent respectivement Maxi Marx et Mini Marx, deux conférenciers-anthropologues cuisinant l’Histoire. Autour de la table placée au centre de la scène, ils filment les objets et aliments grâce à deux téléphones, créant tantôt des personnages, tantôt des paysages. Ces images, diffusées sur les deux écrans placés de part et d’autre de la cuisine, prennent soudainement une forme poétique lorsque les deux comédiens imitent le souffle du blizzard, suggérant un paysage gelé du temps des Homo sapiens.
Le récit avance tel un conte, dans une atmosphère parfois mystique grâce au travail de la lumière. Les flammes des prémices de l’humanité côtoient les ambiances bleu électrique ou rouge profond, permises par un progrès technique toujours plus important. Nonobstant ces avancées technologiques, la mise en scène, elle, privilégie la sobriété – l’ensemble du décor est recyclable. Un parti pris gagnant : ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement…
A l’étroit dans la première partie, David Clavel et David Migeot dévoilent leur potentiel dans la seconde moitié du spectacle, épousant pleinement le rythme infernal de l’économie alors en marche durant l’industrialisation. Les dalles du plateau disparaissent à certains endroits faisant place à une usine agro-alimentaire. Le cynisme du capitalisme revêt les couleurs de la Salsa K, une sauce tomate produite en masse. Les bouteilles vermeilles défilent sur le muret transformé en tapis-roulant.
Protéiformes dans leurs rôles, Mini-Marx et Maxi-Marx deviennent un instant spéculateurs, cherchant par tous les moyens à faire fructifier leur argent. L’ère de la financiarisation entre en scène. Les grèves se multiplient – clin d’œil appuyé à l’actualité. L’usine disparaît d’un lieu pour réapparaître dans un autre. Le capital doit continuer de circuler. Les biens communs doivent pouvoir se marchander. « Et si on achetait l’air qu’on respire ? », s’interroge Mini Marx. « Tu crois qu’on peut ? », demande Maxi Marx. Les questions pleuvent :« et si on achetait les autres planètes ? », « c’est quoi la valeur d’une personne ? ». Dépend-t-elle de l’argent qu’elle possède ? Bérangère Jannelle nourrit la pièce de sa formation en philosophie, interrogeant le sens de la monnaie dans nos sociétés. Et rappelle ainsi que, loin d’être une fin, l’argent est surtout un moyen mis au service de l’humanité…
Kilian Orain – www.sceneweb.fr
Une histoire de l’argent racontée aux enfants et à leurs parents
Texte et Mise en scène : Bérangère Jannelle
Avec David Clavel et David MigeotProduction : La Ricotta, le theâtre Massalia, Espace Malraux scène nationale de Chambéry, l’atelier à spectacles, L’Echalier, Le Maillon – scène européenne de Strasbourg, avec le soutien du Centquatre
La Ricotta est soutenue par le Ministère de la culture – DRAC Centre Val de Loire au titre du conventionnement et de la Région Centre Val de Loire.
Durée 1h
Le CentQuatre
du 25 au 27 avril 2024
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