Le metteur en scène livre une adaptation aussi sobre que sublime du roman de Christophe Honoré. Emmenée par Thomas Blanchard, sa troupe de comédiens, d’une précision rare, alterne entre délicatesse et élégance.
Tout commence par un simple morceau de papier punaisé sur une porte d’entrée. « Guerre et Paix : douteuse contrepèterie », peut-on y lire. Sans vraiment comprendre de quoi il retourne, une petite fille l’apporte à son père, à peine réveillé. Immédiatement, l’homme remet les syllabes en ordre et décode le message. En ce dimanche matin où, apparemment, tout s’engageait bien, voilà l’alliance entre les mots gay et père frappée du sceau de l’incongruité, et la paternité de son destinataire remise en cause par un curieux corbeau, uniquement en raison de son homosexualité. La charge est aussi violente que gratuite, aussi lourde que perfide, et plonge le narrateur dans une cascade intellectuelle et biographique.
Ce narrateur, c’est Christophe Honoré, mais cette histoire, fondement de Ton père, n’est pas tout à fait la sienne. Construite à partir de sensations et de fragments de vie, elle relève plutôt de l’autobiographie romancée, où le vrai se mêle au faux, où la fiction s’invite dans la réalité. Mais qu’importe. Car le doute intime né de cette vile mesquinerie – qui, au fur et à mesure des pages, tourne à l’enquête pour retrouver son auteur ou son autrice – lui est bien réel, universel même pour quiconque a déjà eu à affronter le mur de la norme sociale. Et c’est bien ce doute, insidieux, berceau de nombreux tourments, que Thomas Quillardet veut, dans l’adaptation d’une infinie délicatesse qu’il livre, mettre sur écoute.
Grâce à un dispositif en quadrifrontal, recouvert d’une moquette verte, le metteur en scène cherche, avant toute chose, à capter et à cultiver l’attention de ses spectateurs, au long d’un geste artistique d’une sobriété renversante. Tel un chef d’orchestre, le narrateur – quasiment dépersonnalisé pour tendre vers une forme d’universalité – chemine dans l’espace autant que dans sa vie, et invoque les personnages rencontrés au gré des glissements de son récit. Apparaissent, pêle-mêle, sa mère et sa sœur, ses vieux camarades et ses anciens amants, et même ce proviseur qui, un jour, lui avait commandé quelques poèmes pour le journal du lycée. S’entrechoquent et s’entrelacent alors des fragments du passé et du présent, de la Bretagne des années 1980 et du Paris d’aujourd’hui, des premiers émois adolescents à la difficulté d’être père, des conquêtes d’un soir ou de plusieurs années aux manifestations de la Manif pour tous. Avec, toujours, ce doute en toile de fond. Doute dans la construction adolescente face à un père qui refuse l’homosexualité de son fils, doute face à un parent d’élève qui juge d’une phrase ou d’un regard, doute quand certains slogans de rue ébranlent alors qu’on pensait qu’ils ne nous atteindraient jamais.
Cette mise sur écoute, Thomas Quillardet la mène d’une main de maître, avec une délicatesse qui transforme son adaptation en bijou finement ciselé. Dans sa direction d’acteurs, il impose juste ce qu’il faut de distance pour conserver l’émotion originelle, sans, pour autant, verser dans le pathos. En narrateur omniprésent, Thomas Blanchard la joue les yeux dans les yeux avec ses auditeurs et s’inscrit dans une logique de partage de l’intime d’une émouvante simplicité. Répartis dans le public, les comédiens qui l’accompagnent se manifestent ou bondissent lorsqu’ils sont convoqués. Glissant de rôle en rôle sans autre signe distinctif que leur qualité de jeu, ils se montrent d’une justesse et d’une précision rares dans leur engagement, et instillent de la chaleur et de l’élégance dans le procédé. Les passages groupés agissent alors comme des joyaux, des bulles d’oxygène, des madeleines, volées au temps, à la vie et aux tourments intimes. Preuve que le théâtre peut bouleverser, y compris dans son plus simple appareil.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Ton Père
d’après Christophe Honoré
Adaptation et mise en scène Thomas Quillardet
Avec Thomas Blanchard, Claire Catherine, Morgane El Ayoubi, Cyril Metzger, Etienne Toqué
Assistanat à la mise en scène Titiane Barthel
Scénographie Lisa Navarro
Lumières Lauriane Duvignaud
Costumes Marie La Rocca
Aide à la chorégraphie Jérôme BrabantProduction 8 avril
Coproduction La Comédie – CDN de Reims ; Le Trident – Scène nationale de Cherbourg-en- Cotentin ; ThéâtredelaCité – CDN Toulouse Occitanie ; Le Théâtre de Saint- Quentin-en-Yvelines – Scène nationale ; Le Théâtre de Chelles ; Le Gallia – Scène conventionnée de Saintes ; Le Pont des Arts – Centre culturel de Cesson-Sévigné
Soutiens DRAC Ile-de-France, Région Ile-de-France, ADAMI, Le Théâtre de Vanves
Avec le dispositif d’insertion de l’Ecole du Nord, soutenue par la Région Hauts-de-France et le Ministère de la Culture
Remerciements à la Ville de Cherbourg-en-CotentinDurée : 1h35
Le Monfort Théâtre, Paris / Festival d’Automne à Paris
du 17 au 28 juin 2021 à 20h30
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