
Photo Mélina Varnant
Dans En addicto, Thomas Quillardet se fait le passeur de paroles recueillies au sein du service d’addictologie d’un hôpital francilien, et donne à entendre, avec pudeur, les différentes voix de l’addiction.
« Bonjour tout le monde. Aujourd’hui c’est un atelier sur le verre standard. Vous pouvez fermer la porte ? Merci. » Thomas Quillardet ouvre En addicto sans autre forme de procès, avec la même franchise que celle de Marie-Solène, Shinzo, Olivier, Ludivine, Nicolas, Françoise et Roland. Toutes ces personnes, dont les prénoms ont été modifiés et les histoires réagencées par soucis de confidentialité, le metteur en scène les a rencontrées lors d’une immersion de plusieurs mois dans un hôpital francilien, au sein d’un service d’addictologie où il désirait, raconte-t-il, faire connaissance avec « des patients lucides sur leur maladie, qui pourraient parler de leur parcours de vie ». D’abord simple observateur, Thomas Quillardet assiste à l’ensemble de la journée de soin, de 9h à 17h. Afin de suivre la vie du service au plus près, et se fondre peu à peu dans le décor, il est accepté en consultation, au poste de soin et en groupe de parole par une équipe soignante un tantinet divisée entre les partisans et les sceptiques. Sans trop savoir où cette aventure peu commune le mènera, le metteur en scène orchestre, par la suite, un atelier théâtre pour permettre aux patients, à travers des exercices simples, mais parfois redoutables, de se connecter aux autres, et de se reconnecter à eux-mêmes. Et ce n’est finalement que très progressivement, au fil des jours et des échanges, que l’idée germe en lui de transformer cette expérience en spectacle.
Pour ce faire, l’artiste s’est appuyé sur le travail d’archivage et de mémoire auquel il s’était astreint durant la majeure partie de ce stage. Chaque soir, il avait patiemment pré-sélectionné, recomposé, puis retranscrit les paroles prononcées par les patients, les soignants ou lui-même. À partir de ce substrat composite, Thomas Quillardet s’est attelé à une tâche de tisserand pour nouer serré l’ensemble de ces fragments. Qu’ils proviennent de discussions avec l’équipe soignante, d’échanges lors des groupes de parole, de confessions délivrées durant des consultations ou d’échappées lors des ateliers théâtre, ils alimentent un flot unique qui, par touches, à la manière d’un tableau pointilliste, forment, non pas une galerie de portraits, mais le portrait d’un service tout entier. Ainsi enchevêtrés, il n’est plus question de reconstituer le parcours de vie de tel ou tel patient, mais plutôt de découvrir un univers sonore polyphonique et un espace intellectuel multifacette. Car, au long de cette transmission, se révèlent les différentes voix de l’addiction qui, malgré leur singularité, ont un terreau commun. Qu’elles soient à l’alcool, à la drogue ou au sexe, toutes viennent, le plus souvent, combler un manque premier – engendré par la perte d’un être cher, ou non ; toutes provoquent chez le patient une honte qui va à l’encontre du processus de guérison ; et toutes supposent un combat solitaire, parfois peu compris par l’entourage, auquel les soignants apportent leur soutien, au gré d’un accompagnement où se combinent l’empathie et l’exigence.
Cette quinzaine de voix qui, dans l’ensemble, émanent de dialogues, Thomas Quillardet a choisi, par honnêteté, affirme-t-il, de les regrouper dans un corps unique, le sien, sans pour autant gommer les spécificités individuelles et les conséquences multiples des comportements addictifs. Assis sur une chaise, dans une adresse frontale aux spectateurs, il les délivre et les fait se succéder avec une simplicité déconcertante, à l’image de l’anti-sensationnalisme auquel il s’est astreint. Dans cette composition, il n’est jamais question de récits de « descente aux enfers » ou d’anecdotes plus ou moins dramatiques qui collent la plupart du temps au thème des addictions. Entre lutte sans répit et phrases du quotidien, confessions touchantes et comique involontaire, Thomas Quillardet fait avant tout preuve de tact, de respect et d’une grande pudeur. Intellectuellement salvateur, ce parti-pris sensible accouche d’un objet théâtral hors des sentiers battus, où le metteur en scène-comédien, qui n’était pas remonté sur un plateau depuis plus de vingt ans, se détache de toute tentative d’incarnation. Si, dans les premières secondes, le procédé peut surprendre, voire entraîner une légère confusion dans l’identification des locuteurs, l’artiste utilise les variations de rythme dans la parole pour permettre, in fine, à tout un chacun de s’y retrouver. Alors, même si ce sont bien leurs mots qui sont mis sur le devant de la scène, les patients, comme les soignants, se dessinent en filigrane, et on se surprend à donner un visage à Marie-Solène, Shinzo, Olivier, Ludivine, Nicolas, Françoise, Roland et consorts, à faire fonctionner notre imaginaire autant qu’ils ont pu stimuler le leur.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
En addicto
Texte et interprétation Thomas Quillardet
Collaboration artistique Jeanne Candel
Dramaturgie Guillaume Poix
Lumières et régie générale Milan Denis
Collaboratreur.rice.s Titiane Barthel, Ernestine Bluteau, Frédéric Gigout, Guillaume LalouxProduction 8 AVRIL
Coproduction Festival d’Automne à Paris ; Théâtre de la Ville-Paris ; Le Trident – Scène nationale de Cherbourg-en-Cotentin ; La Rose des vents – Scène nationale de Lille Métropole à Villeneuve-d’Ascq
Avec le soutien de Théâtre Ouvert ; L’Azimut / Antony – Châtenay-Malabry ; La vie brève – Théâtre de l’Aquarium ; Théâtre Jacques Carat de Cachan
Coréalisation Théâtre de la Ville-Paris ; Festival d’Automne à Paris8 AVRIL est soutenue par la Drac Île-de-France au titre du conventionnement et par la région Île-de-France au titre de la permanence artistique et culturelle.
Durée : 1h15
L’Azimut – Théâtre La Piscine, Châtenay-Malabry, dans le cadre du Festival d’Automne à Paris
du 6 au 11 octobre 2023Théâtre de la Ville – Sarah Bernhardt, Paris, dans le cadre du Festival d’Automne à Paris
du 18 au 28 octobreThéâtre Jacques Carat, Cachan, dans le cadre du Festival d’Automne à Paris
les 15 et 16 novembreLe Trident, Scène nationale de Cherbourg
les 7 et 8 décembreLa Rose des vents, Scène nationale Lille Métropole à Villeneuve-d’Ascq
du 24 au 26 janvier 2024Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines, Scène nationale
du 2 au 5 avrilLe Théâtre d’Angoulême, Scène nationale
du 9 au 11 avril
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