Après une version anglaise et allemande, Thomas Ostermeier crée la version française de Retour à Reims à l’Espace Cardin du Théâtre de la Ville, une production du Théâtre Vidy-Lausanne. Du théâtre documentaire qui s’appuie sur le livre de Didier Eribon paru en 2009, pour comprendre la société française d’aujourd’hui. C’est le premier spectacle à parler du mouvement social des gilets jaunes.
Laurent Hatat a été le premier à porter sur scène le livre de Didier Eribon. C’était en 2014 dans le Off à la Manufacture avec Antoine Mathieu dans le rôle du père de Didier Eribon et Sylvie Debrun dans celui de sa mère. Retour à Reims est le récit autobiographie et sociologique de Didier Eribon. Après la mort de son père, le philosophe retourne à Reims, sa ville natale, et retrouve son milieu d’origine, le milieu qui l’a vu naître et avec lequel il a coupé les ponts pendant trente ans sans donner de nouvelles. La mort du père est l’occasion de livrer ses vérités à sa mère. Il raconte les humiliations dont il a été victime et la violence d’un père autoritaire et homophobe. Le texte est aussi une analyse du basculement des classes populaires et ouvrières du vote communiste vers le vote Front National.
Thomas Ostermeier s’empare de la pensée de Didier Eribon pour en faire une pièce politique. C’est une radiographie de la France des villes moyennes, des régions industrielles décimées et oubliées par la classe politique. Il pointe la fracture sociale qui secoue en ce moment la société française, le mépris de classe qui pousse une partie de la population jusqu’à présent non politisée à prendre la parole, avec les risques de débordements et de récupérations que l’on connait.
Le metteur en scène allemand fait le choix du théâtre documentaire et a convaincu Didier Eribon de se laisser filmer avec sa mère. Les images sont intégrées dans un film raconté en voix off par Irène Jacob, narratrice d’un documentaire dont le réalisateur (Cédric Eeckhout) lui donne des indications dans la cabine de mixage du studio d’enregistrement dont le propriétaire est interprété par le rappeur Blade MC Alimbaye.
Irène Jacob, la voix douce, porte avec délicatesse la pensée structurée de Didier Eribon. Cette voix off commente des images d’archives. On y voit la première apparition du philosophe à l’émission Apostrophe face à Bernard Pivot pour évoquer l’homosexualité de Michel Foucault, les manifestations de Mai 68, les discours de Jacques Duclos à la tribune face à des militants du PC, et des images récentes des échauffourées en décembre sur les Champs-Elysées avec les gilets jaunes. Thomas Ostermeier s’arrête un instant pour s’interroger sur le rôle de l’artiste dans cette époque, sur son inaction, sur son silence. Irène Jacob pointe la peur de voir dans trois ans, la France gouvernée par une alliance populiste.
En associant à la distribution le rappeur Blade MC Alimbaye, Thomas Ostermeier fait un pas de côté par rapport au livre original de Didier Eribon. Il a souhaité aussi parler cette France invisible au théâtre. Heureux hasard de la programmation en ce début d’année, le Théâtre de la Ville présente dans la petite salle de l’Espace Cardin la pièce de David Lescot, Portrait de Ludmilla en Nina Simone qui interroge, avec finesse, la place des minorités dans le milieu artistique. Ici c’est un peu moins le cas. Thomas Ostermeier a du mal à glisser le témoignage de Blade MC Alimbaye dans sa dramaturgie. Le rappeur raconte à la fin du spectacle, dans un dialogue improvisé qui mérite d’être resserré pour plus d’efficacité, le parcours de son grand-père né au Sénégal, engagé de force parmi les “tirailleurs sénégalais”. Il évoque aussi le massacre de Thiaroye passé sous silence par les historiens, et réhabilité il n’y a pas longtemps au théâtre par Alexandra Badea dans Points de non-retour. Cette dernière scène est malheureusement un peu brouillonne mais elle ne doit pas faire oublier l’essentiel du propos du spectacle qui pointe avec efficacité l’impasse dans laquelle se trouve la France en ce début d’année.
Stéphane CAPRON – www.sceneweb.fr
D’après Le Livre Retour À Reims De Didier Eribon (Fayard, 2009) mise en scène Thomas Ostermeier Dans Une Version de la Schaubühne (Berlin, direction Thomas Ostermeier)
Scénographie & Costumes Nina Wetzel Musique Nils Ostendorf Son Jochen Jezussek Dramaturgie Florian Borchmeyer Lumières Erich Schneider Film Réalisation Sébastien Dupouey & Thomas Ostermeier Prises De Vues Marcus Lenz, Sébastien Dupouey & Marie Sanchez Montage Sébastien Dupouey Bande Originale Peter Carstens & Robert Nabholz Musique Nils Ostendorf Son Jochen Jezussek Recherche Archives Laure Comte & Bagage (Sonja Heitmein, Uschi Feldges) Avec Cédric Eeckhout, Irène Jacob, Blade Mc Alimbaye.
Durée: 1h45Espace Cardin du Théâtre de la Ville
Du 11 janv au 16 févr. 2019
A 20h et 16h le samedi21.02 – 22.02.2019
Scène nationale d’Albi (FR)28.02 – 1.03.2019
Maison de la Culture d’Amiens (FR)6.03 – 8.03.2019
Comédie de Reims (FR)14.03 – 15.03.2019
TAP – Théâtre & Auditorium de Poitiers-Scène nationale (FR)21.03 – 23.03.2019
La Coursive-Scène nationale La Rochelle (FR)28.03 – 29.03.2019
MA avec Granit, Scènes nationales de Belfort et de Montbéliard (FR)24.04 – 25.04.2019
TANDEM – Scène nationale, Douai (FR)2.05 – 4.05.2019
Bonlieu Scène nationale Annecy (FR)14.05 – 16.05.2019
La Comédie de Clermont-Ferrand – Scène nationale (FR)22.05 – 23.05.2019
Apostrophe Scène nationale Cergy-Pontoise et Val d’Oise (FR)28.05 – 15.06.2019
Théâtre Vidy-Lausanne (CH)
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