En compagnie de la flamenca Mijal Natan, le danseur chorégraphe Hillel Kogan élabore un spectacle où le flamenco devient support de son obsessionnelle remise en cause des postures. Drôle et beau à la fois, THISISPAIN reconfigure brillamment la géographie des arts et des pensées, et préfère définitivement le mouvement aux identités.
Fluidité des genres et circulation des peuples, Hillel Kogan dépasse les frontières de toutes sortes à coups de discours humoristico-politiques drôlissimes qu’il mêle à des chorégraphies subvertissant les codes. Sept ans après We love arabs, où l’ancien de la Batsheva Dance Company s’amusait de la bien pensance pouvant entourer le conflit israélo-palestinien, tout autant que des pratiques du monde culturel et de la danse, le voilà lancé dans une traversée du flamenco qui le conduit à se moquer de l’Espagne et de son folklore, tout en rendant hommage à cet art ancestral. Il faut dire que le flamenco, qu’on attribue aux Ibères, ne vient pas plus d’eux que Carmen, rappelle-t-il, puisque son origine gitane en fait un art apatride traversé de la douleur des minorités opprimées et chassées jusqu’à ce que la mer les arrête. THISISPAIN lève donc d’emblée la confusion en plaçant le mot pain en fond de scène. Alternant entre auto-dérision, humour noir et colères froides et affectées, échappant sans cesse aux postures, toujours dans le mouvement d’une pensée et d’une danse qui rechignent à se figer, Hillel Kogan remet en cause toutes ces identités qui nous enferment comme les clichés fixent les représentations. À la fois citoyen du monde et « pédé » israélien, il défend sa vision d’un individu multiforme et insaisissable, inassimilable à un cadre.
Indépendantisme catalan, esprit d’aventure de Christophe Colomb ou révolution cubiste de Picasso en prennent ainsi pour leur grade. THISISPAIN n’y va pas de main morte dans la critique et la provocation, trouvant dans les volontaires excès du danseur chorégraphe une certaine mise en suspension du sérieux absolu de ses propos. Ce que Kogan vise très drôlement, c’est d’ailleurs moins l’Espagne et ses clichés que toutes les manifestations d’enfermement identitaires produites par les consensus de pensée et autres rassemblements nationaux de toutes sortes. Kogan n’est pas qu’Israélien, souligne-t-il, mais « caméléon », pris pour un indigène dans chaque pays qu’il traverse.
Toujours en mouvement, entre récits intimes et traversée du flamenco par les codes, les techniques et la réinvention, c’est avec la flamenca israélienne, d’origine allemande et marocaine, Mijal Natan, qu’il mène ce spectacle, capable de nous fait voir des centaures et des oiseaux, des chevaux et un petit taureau, auquel Kogan demande s’il n’a jamais eu conscience de la chance qu’il avait, mais aussi des conditions risibles et terribles de sa future mort. Un balai entre les jambes, la queue flottant sur le sol du côté paillé, raide, et empoignée du côté du manche, le duo convoque régulièrement l’hybridité, premier degré des mélanges entre les formes, les genres, et les gens tout simplement.
Et premier degré, vous l’aurez compris, le duo ne l’est pas. Parcourant une multitude de thèmes – du machisme espagnol à l’européanité de passeport, en passant par la corrida et un hommage au rythme duodécimal –, il tisse en mêlant dialogues, chant, danse et exercices de compas une performance qui sape les fondements du flamenco, tout en laissant admirer sa virtuosité dans le domaine. Mijal Natan y est depuis longtemps reconnue ; Hillel Kogan dit le traverser en touriste et admirateur. Au fond de cet art, circule l’immémorielle douleur des humains persécutés qui met en écho cultures juive et gitane. S’achevant sur une stupéfiante image de Kogan grimaçant, peinture dansée à la Goya des souffrances humaines, THISISPAIN en fait le véritable terreau commun de notre humanité.
Eric Demey – www.sceneweb.fr
THISISPAIN
Chorégraphie Hillel Kogan
Avec Mijal Natan, Hillel Kogan
Dramaturge Yael Venezia
Direction Artistique Laetitia Boulud
Lumières Nadav Barnea
Conseiller Musical Yael Horwitz
Traduction, adaptation française Noémie DahanProduction Hillel Kogan, Curtain Up festival, Ministère de la Culture (Israël)
Durée : 1h05
Théâtre du Rond-Point
Du 5 au 17 novembre 2024
du mardi au vendredi, 19h30 – samedi, 18h30 – dimanche 17 novembre, 15h30
Relâche : les 10 et 11 novembre
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