Inventé par deux artistes sud-africains, le compositeur Nhlanhla Mahlangu et le plasticien William Kentridge, The Great Yes, The Great No est un spectacle à la fois didactique et entraînant qui suit une constellation de créateurs sur le chemin de l’exil et porte haut leur espoir de liberté.
Au-delà de son stimulant foisonnement visuel, textuel, théâtral, musical, le spectacle de William Kentridge, The Great Yes, The Great No, que donnent à voir le Festival d’Aix-en-Provence et la Fondation LUMA Arles où il est présenté, est exceptionnel pour la raison imprévue qu’il s’est joué en première mondiale, ce dimanche 7 juillet, un peu moins de deux heures après la parution des résultats du second tour des élections législatives. Un verdict des urnes que chaque spectateur attendait non sans inquiétude à la suite d’une campagne où se sont massivement déversées la stigmatisation et la haine de l’Autre. Le geste toujours particulièrement créatif de William Kentridge est tout l’inverse : anti-raciste, anti-fasciste, anti-colonialiste. En cette soirée particulière, il eut alors comme vertu salvatrice d’accompagner en beauté la défaite de l’extrême droite, et de revigorer son auditoire grâce à un art total, protéiforme, qui n’a rien de simplement décoratif, et dont la fabrication s’inspire des avant-gardes du XXe siècle et de la technique du collage propre au dadaïsme.
Figure majeure de l’art contemporain, William Kentridge connaît bien la scène lyrique pour y avoir produit un Retour d’Ulysse dans sa patrie de Monteverdi, une Flûte enchantée de Mozart, animée par nombre de ses propres dessins au fusain et films bricolés, Le Nez de Chostakovitch, puissante dénonciation de la dictature, ou encore le Wozzeck de Berg dont il a fait un implacable catalyseur des ravages causés par la guerre. C’est dire s’il n’est pas permis de douter de la sincérité des intentions profondément humanistes de l’artiste sud-africain témoin de la fin de l’apartheid.
The Great Yes, The Great No n’est pas vraiment un spectacle d’opéra, mais un travail pluridisciplinaire, au carrefour des arts plastiques et performatifs, comme le directeur du Festival d’Aix, Pierre Audi, aime occasionnellement en proposer. En dépit de sa forme relativement chambriste, il se présente aussi et surtout comme un grand voyage, une belle traversée, où l’artiste déploie un maelström d’images, de sons, de rythmes, de mots pour conjurer la menace, proclamer l’espoir, défendre et réinventer une utopie politique et poétique, tout en maintenant une nécessaire pensée réflexive sur les réalités historiques et politiques qui fragilisent la condition humaine.
La pièce prend pour point de départ le trajet effectué par un cargo parti de Marseille pour regagner la Martinique en 1941. Le navire transportait des centaines de réfugiés parmi lesquels plusieurs artistes et intellectuels qui cherchaient à fuir la France de Vichy et la domination nazie. À bord : le poète surréaliste et chantre de l’art révolutionnaire André Breton, le peintre afro-cubiste Wifredo Lam, l’autrice Anna Seghers. En brodant autour de cet épisode relaté par l’anthropologue Claude Levi-Strauss dans Tristes tropiques, William Kentridge invente une fable allégorique sur toutes les trajectoires contraintes et les migrations. Il convoque, pêle-mêle, nombre de figures d’exilés, à l’instar de l’écrivain et homme politique Aimé Césaire et de sa femme Suzanne, de la chanteuse et artiste de music-hall Joséphine Baker, de l’écrivain Franz Fanon ou encore des sœurs Nardal. Toutes et tous racontent l’expérience du déracinement.
Leur périple prend forme sur le plateau transformé, à la fois, en pont de bateau qui tangue et chavire à tout va et en scène de cabaret inventif et subversif. Chanteurs, danseurs, performeurs, musiciens forment une troupe dont l’énergie est bouillonnante et l’éclectisme fécond. Un chœur vibrant de femmes chante la volonté de s’extraire du désastre et de reconstruire sur les ruines. Réunis sur scène autour d’une partition textuelle et musicale bigarrée et chaloupée, puisant ses sources aux racines de la culture africaine et caribéenne, tous célèbrent singulièrement la force de la poésie, de l’art et de l’imagination à penser et réenchanter le monde.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
The Great Yes, The Great No
Concept et mise en scène William Kentridge
Metteurs en scène associés Nhlanhla Mahlangu, Phala O. Phala
Compositeur choral Nhlanhla Mahlangu
Direction musicale Tlale Makhene
Avec Xolisile Bongwana, Hamilton Dhlamini, William Harding, Tony Miyambo, Nancy Nkusi, Luc de Wit, Thulani Chauke, Teresa Phuti Mojela
Chœur Anathi Conjwa, Asanda Hanabe, Zandile Hlatshwayo, Khokho Madlala, Nokuthula Magubane, Mapule Moloi, Nomathamsanqa Ngoma
Musiciennes et musiciens Marika Hughes (violoncelle), Nathan Koci (accordéon, banjo), Tlale Makhene (percussions), Thandi Ntuli (piano)
Dramaturgie Mwenya Kabwe
Costumes Greta Goiris
Décors Sabine Theunissen
Lumière Urs Schönebaum, Elena Gui
Montage projection Žana Marović, Janus Fouché, Joshua Trappler
Cinématographie Duško Marović
Contrôle vidéo Kim GunningUn projet du Centre for the Less Good Idea
Commande LUMA Foundation, Arles
Co-commande Adrienne Arsht Center for the Performing Arts, Miami USA ; CAL Performances, Berkeley USA ; Centre d’art Battat, Montréal CanadaLe soutien fondateur au développement et à la création de The Great Yes, The Great No est assuré par le Brown Arts Institute de l’université Brown.
Durée : 1h30
LUMA Arles, en partenariat avec le Festival d’Aix-en-Provence
du 7 au 10 juillet 2024, à 21h30
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