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A l’Odéon, Creuzevault débusque les nouveaux Inquisiteurs

À la une, A voir, Les critiques, Paris, Théâtre

Photo Simon Gosselin

En guise de préambule à son adaptation des Frères Karamazov, le metteur en scène isole le poème du Grand Inquisiteur. Transformé en farce métaphysico-politique, il se révèle d’une acuité contemporaine saisissante.

Dostoïevski va décidément comme un gant à Sylvain Creuzevault. Après son adaptation turbulente des Démons, le coup de jeune offert à L’Adolescent, et juste avant ses très attendus Frères Karamazov, promis pour le mois de novembre, le fantasque metteur en scène s’est penché, en guise de préambule, sur l’un de ses joyaux, le poème du Grand Inquisiteur. Passage à part du dernier roman du génie russe, il reste comme un fragment étonnant, et puissant, sorte d’îlot rebelle, voire anarchiste, dans un océan de conservatisme, que Sylvain Creuzevault a su, brillamment, tiré jusqu’à nous.

Racontée par Ivan à son frère Aliocha, cette fable métaphysico-poétique imagine le retour du Christ au temps de l’Inquisition espagnole. Reconnu comme le messie dans les rues de Séville, il ne peut s’empêcher, à la demande des fidèles, de réaliser des miracles, de rendre la vue à un aveugle, de ressusciter une jeune fille prête à être envoyée au cimetière. Autant d’actes qui sèment le trouble dans la ville et, par le vent de liberté qu’ils font souffler, provoque l’ire du Grand Inquisiteur. Imperturbablement silencieux, le Christ est alors envoyé au cachot et promis dès le lendemain au bûcher par celui-là même qui prétend agir en son nom. En guise de procès, le vieil inquisiteur dresse un réquisitoire contre cet homme qui au miracle, au mystère, à l’autorité et à la satisfaction des besoins matériels, a préféré la liberté. Erigée, par naïveté, tout comme l’amour du prochain, en valeur cardinale.

A ce sulfureux monologue, Sylvain Creuzevault impose d’abord un traitement classique, façon pour lui d’en capter les enjeux, d’en montrer la puissance, d’en esquisser les contours et les limites ambigües. Dans un décor immaculé, Sava Lolov la joue mi-vieillard, mi-démon, prêt à faire tomber les masques d’une Inquisition – et à travers elle d’une Eglise – qui considère les hommes comme une bande d’écervelés affamés, à qui la liberté promise par le Christ ferait, en définitive, plus de mal que de bien. Sous le regard d’un Pape abêti, il pose les termes de l’éternel débat entre liberté et sécurité, se faisant le garant sacrificiel de la seconde au détriment de la première. Les mots sont abrupts, la parole dure, d’autant qu’elle résonne curieusement avec notre époque, où ce dilemme rejaillit au premier plan.

Mais Sylvain Creuzevault, avec le goût du chaos qui le caractérise, va plus loin. Une fois le Christ condamné, surgit une bande de bouffons qui fait glisser le spectacle vers la farce métaphysico-politique. En digne héritier de ce Dostoïevski là, qui invite selon le philosophe russe Nicolas Berdiaev, à « démasquer » le Grand Inquisiteur, « partout où il se trouve », le metteur en scène débusque ceux de notre temps. Donald Trump, Margaret Thatcher et Joseph Staline font alors office, sous sa houlette satirique, d’inquisiteurs contemporains, capables de dépecer le Christ à mains nues.

La farce aurait pu tourner à la vulgaire pochade si Sylvain Creuzevault ne s’était pas, volontairement, laissé rattraper par Dostoeïvski. Dans un geste plus maîtrisé et lisible qu’à l’accoutumée, malgré des comédiens qui ne livrent pas encore tous leur pleine puissance, il le confronte au Penser est fondamentalement coupable d’Heiner Müller et, en fin connaisseur de l’histoire du socialisme qu’il est, met le capitalisme en regard de la harangue du Grand Inquisiteur. Surtout, il place les mots de Dostoïevski dans la bouche de Staline, qui fait le procès de Marx, érigé au rang de prophète, et dans celle de Trump qui considère ses électeurs comme une bande d’enfants dont il assure savoir faire le bonheur. Loin d’être artificielle, la démarche est d’une acuité saisissante, et prouve que Sylvain Creuzevault est prêt, comme il l’écrit sur le rideau de fer du Théâtre de l’Odéon, à conduire son « éternelle rébellion quoi qu’il en soit ».

Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr

Le Grand Inquisiteur
d’après Fédor Dostoïevski
Mise en scène et adaptation Sylvain Creuzevault

Traduction française André Markowicz
Avec Nicolas Bouchaud, Sylvain Creuzevault, Servane Ducorps, Vladislav Galard, Arthur Igual, Sava Lolov, Frédéric Noaille, Sylvain Sounier
Dramaturgie Julien Allavena
Scénographie Jean-Baptiste Bellon
Lumière Vyara Stefanova

Création musicale Sylvaine Hélary, Antonin Rayon
Costumes Gwendoline Bouget
Stagiaire costumes Suzanne Devaux

Maquillage Mytil Brimeur, Judith Scotto
Masques Loïc Nébréda

Son Michaël Schaller
Vidéo Valentin Dabbadie

Production Le Singe
Coproduction Odéon-Théâtre de l’Europe
Avec le Festival d’Automne à Paris et le soutien de l’Adami
La compagnie est soutenue par le ministère de la Culture / Drac Nouvelle-Aquitaine

Durée : 1h30

Théâtre de l’Odéon, dans le cadre du Festival d’Automne à Paris
du 25 septembre au 18 octobre 2020
les 15 et 16 octobre à 20h, le 17 octobre à 16h30 et le 18 octobre à 15h

26 septembre 2020/par Vincent Bouquet
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