Dans le cadre d’une itinérance organisée par le Théâtre de Lorient à travers le Morbihan, le dramaturge et metteur en scène se place dans le sillage des papillons monarques et livre une délicate ode au voyage, y compris intérieur, où espoirs et difficultés, résistance et résilience s’unissent et se confondent.
Sur l’aile d’un papillon est, peut-être encore plus que d’autres spectacles avant lui, le fruit de rencontres. Rencontre, sous l’égide du Théâtre de Lorient où ils sont tous les deux artistes associés, entre un metteur en scène, Emmanuel Meirieu, et un comédien, Julien Chavrial, qui, lorsqu’il n’est pas mobilisé sur les planches, s’adonne au parapente et se transforme alors en Icare des temps modernes ; rencontre entre un dramaturge, Emmanuel Meirieu encore, et un lieu, le sanctuaire d’El Rosario, où, à 3200 mètres d’altitude, sur la chaîne volcanique mexicaine, des papillons monarques se rejoignent par millions pour venir passer l’hiver, après un périple de 5000 kilomètres, soit la plus longue migration d’un insecte jamais observée ; rencontre entre un auteur, Emmanuel Meirieu toujours, et l’histoire d’un homme, Benjamin Jordan, qui, en 2020, s’est lancé dans un pari un peu fou : traverser, tel un papillon monarque, les Etats-Unis de part en part à l’aide de son parapente. Façon pour ce Canadien d’origine de réaliser un film (Fly Monarca), d’engranger le record du monde du plus long voyage en parapente non motorisé, mais aussi de sensibiliser à la cause de cet animal dont le nombre d’individus, année après année, ne cesse de diminuer, à cause du changement climatique et de la perte d’habitat naturel. Il n’en fallait alors pas plus à Emmanuel Meirieu pour trouver dans cette triple rencontre une source d’inspiration, pour y voir l’incarnation vivante de cette poétique humaine, trop humaine, qui, de façon constante, irrigue son travail.
Sa casquette de dramaturge vissée sur la tête, l’artiste a décidé de profiter de la dynamique de l’itinérance dans laquelle devait s’inscrire ce spectacle commandé par le Théâtre de Lorient, de cette manière de voguer de ville en ville à travers tout le Morbihan pendant plusieurs semaines pour filer la thématique du voyage, et s’inscrire à son tour, tout à la fois, dans le sillage, et à rebours du trajet, du papillon monarque. En ce dimanche après-midi, dans la petite salle du Centre culturel L’Artimon de Locmiquélic, ils sont alors non pas un, mais deux à s’embarquer dans une traversée au long cours. Tandis qu’à jardin, un parapentiste, qui s’apprête à partir – à moins qu’il ne vienne d’atterrir –, se débat avec sa voile et s’emploie à démêler les fils qui le relient à elle, en même temps qu’il met en ordre ses souvenirs, un jeune homme trône, à cour, tout en haut d’un bloc de ferraille, d’un morceau de l’un des wagons de La Bestia, ce train de marchandises qui, chaque année, transporte plusieurs dizaines de milliers de Mexicains sur son toit, pressés de rejoindre le nord du pays pour tenter, parfois au péril de leur vie, de traverser la frontière avec les États-Unis. Sans se rencontrer, ces deux individus sont portés par des vents contraires, mais de force similaire : l’un en s’adressant à son frère, récemment décédé dans un accident de parapente, auprès de qui il rejoue son périple aérien, du Nord au Sud, en compagnie des papillons monarques ; l’autre en interpellant son père, à qui il confie les espoirs et les risques liés à sa traversée ferroviaire clandestine du Sud vers le Nord.
Chacun en dialogue avec leurs proches, isolés dans une bulle intime apparemment étanche, les deux hommes ne tardent pas à dialoguer entre eux grâce à l’astucieux jeu de résonances qu’Emmanuel Meirieu, avec la subtilité qu’on lui connaît, se plaît à révéler et à cultiver entre leurs histoires respectives. Le dramaturge joue alors avec les effets miroirs, entre les trajectoires migratoires, toujours plus simples quand elles vont du Nord au Sud que du Sud au Nord, entre les voies d’accès, toujours plus pratiques quand elles empruntent le ciel plutôt que la terre, entre l’animal sauvage, par essence libre de ses mouvements, et l’Homme contemporain, désormais entravé par des frontières de plus en plus fermées. De ce parallélisme, naît une série de contrastes, entre le délicat bruissement d’aile d’un papillon et le bruit infernal de La Bestia, et surtout de croisements, dans la façon qu’ont les Hommes de porter leurs morts sur leurs épaules, tels des papillons monarques qui, dans la culture mexicaine, les transporteraient sur leurs ailes, dans la recherche d’un eldorado, aux États-Unis pour les uns, au coeur d’un sanctuaire mexicain pour les autres, mais aussi dans les blessures que ces voyages à hauts risques peuvent, chez le papillon, comme chez l’humain, occasionner et qu’il faut s’employer, avec l’aide d’autrui, à réparer.
Malgré leur lot de difficultés intrinsèques, voire de dangers potentiellement mortels, ces parcours à fronts renversés prennent, chez Emmanuel Meirieu, l’allure d’un creuset où les espoirs sont vivaces, les défis et combats nombreux et la résistance tenace pour panser les plaies du passé, tenter de s’affranchir de la pesanteur, lutter contre sa propre extinction et, en définitive, s’accorder une vie meilleure. Porté par une langue simple et intensément poétique, ce pas de deux se déplie et se déploie très progressivement, à la manière et avec la délicatesse des ailes d’un papillon. Dans le beau timbre cristallin de Nicolas Moumbounou, comme dans le ton proche du murmure manié avec doigté par Julien Chavrial, les récits deviennent des confessions aux disparus, des voyages intérieurs, que les membres de ce tandem réaliseraient pour eux-mêmes avant, en ouvrant doucement la porte, de les livrer aux autres. Grâce à un travail scénographique remarquable de précision, fourmillant de détails et étonnant d’organicité, qui profite des contraintes de l’itinérance au lieu de les subir, Sur l’aile d’un papillon transfigure autant le lieu qu’il occupe que les Hommes qui l’habitent, jusqu’à s’imposer comme un carrefour où si tout donne l’impression de se croiser, tout ne fait, en réalité, que s’entrecroiser, où le vivant et les vivants, les vivants et les morts, les Hommes et les animaux sont puissamment soudés, où, dans une société où tant concourt à diviser, Emmanuel Meirieu s’emploie, une nouvelle fois, à unifier, et, s’il le faut, à réunifier.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Sur l’aile d’un papillon
Texte et mise en scène Emmanuel Meirieu
Avec Julien Chavrial, Nicolas Moumbounou
Décor Emily Barbelin, Seymour Laval, Emmanuel Meirieu
Lumière Seymour Laval
Vidéo Emmanuel Meirieu
Son Félix Mulhenbach
Costumes Moïra Douguet
Accessoires Emily Barberin
Musique Raphaël ChambouvetProduction Théâtre de Lorient – CDN ; Compagnie Bloc Opératoire
Durée : 55 minutes
Théâtre de Lorient – CDN
En itinéranceCentre culturel L’Artimon, Locmiquélic
le 17 mars 2024Salle des fêtes, Plouray
le 24 marsEspace Kerverh, Landévant
le 14 avrilCentre pénitentiaire, Vannes
le 15 avrilSalle des fêtes, Plouay
le 19 avrilEspace Benoîte Groult, Quimperlé
le 23 maiBerné
le 25 maiLocmalo
le 28 maiJosselin
le 29 mai
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