En duo avec Šuka Horn, Dimitris Papaioannou revient sur la scène du Théâtre de la ville où il plonge dans une fantasmagorie aqueuse et noire d’une puissante beauté esthétique et organique.
Chorégraphe et scénographe, l’artiste grec Dimitris Ppapaioannou est un grand créateur de mondes en clair-obscur dont l’art très maîtrisé fait pénétrer aux confins d’univers à la fois étranges et familiers, envoûtants et déstabilisants. Signataire d’images superbement spectaculaires et toujours très influencées par l’art antique comme la peinture classique, il a conçu il y a plusieurs années déjà la pièce Ink, un foisonnant mais plus succinct et intimiste opus pour lequel il a choisi de redevenir interprète. Écrit à la couleur d’une encre noire et juteuse, Ink prend place dans un vaste et indéfinissable espace-temps, où se laisse découvrir un homme, une sorte de Robinson désorienté sur son île abandonnée, elle-même enveloppée d’une pénombre caverneuse, qui tente de combattre les éléments déchaînés autant qu’il cherche à sonder les méandres de sa propre intériorité.
C’est bien un espace mental, métaphorique, fantasmatique, qu’il occupe avec ses zones d’ombres, ses angoisses, ses désirs encore inassouvis. D’ailleurs, il manipule une pieuvre, symbole d’intense concupiscence. Sur son marasme, son cauchemar, son chaos, s’abat voire déferle de façon ininterrompue une pluie torrentielle. Mais l’atmosphère suffocante de fin du monde s’irise partiellement des multiples éclats lumineux d’une boule à facettes qui se réfléchit dans l’eau. Projeté au moyen d’un surpuissant jet, ce geyser liquide laisse place à l’espoir d’une irrigation propice à la renaissance. On sait combien l’éternel recommencement habite toute l’œuvre scénique de Papaioannou.
L’homme solitaire qu’il incarne, trempé de la tête au pied, voit hasardeusement débarquer un autre figure dont la silhouette rampante sous des plaques de plexiglas s’offre difficilement saisissable. Si, tout de noir vêtu, le premier arbore une maturité épanouie, le second, nu et irradiant, incarne une jeunesse vigoureuse qui s’ébroue dans les herbes folles et sauvages. Ces deux présences contrapuntiques jouent sur leur antagonisme autant qu’elles cherchent à provoquer la réunion de leurs corps et de leurs êtres dont un magnétisme fou se dégage. En jouant au ballon comme de bons camarades ou devenant d’offensifs ennemis, ils s’affrontent, s’apprivoisent, d’abord à distance puis au plus près l’un de l’autre. Au moyen d’une corde, le premier tire le second vers lui ; munis d’un tuyau d’arrosage et d’un bocal d’aquarium, ils vont chacun leur tour s’abreuver à la source intarissable de l’autre.
Empreinte d’une force poétique et érotique indéniable, cette rencontre insolite et stupéfiante transpire d’autant de tendresse que de brutalité. Ce qui se joue entre les deux artistes s’apparente tantôt à une sensuelle et apaisante étreinte, tantôt à un rituel barbare ou à un numéro de cirque au cours desquels s’exacerbent des rapports de dépendance, de domination et d’humiliation. Le spectacle met-il en scène un homme et son double, un père et un fils, un maître et un esclave, un couple d’amants ? Il exerce autant de séduction qu’il fait surgir de multiples interrogations. Monté comme un long adagio (sur une musique contemporaine dont la veine passe pour vaguement mahlerienne), Ink déploie une beauté superlative qui parvient à conjurer l’orage, la solitude et la mort.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Ink
Avec Šuka Horn + Dimitris PapaioannouCostumes et décors Dimitris Papaioannou
Lumière Stephanos Droussiotis + Dimitris Papaioannou
Son David Blouin
Musique Antonio Vivaldi, Donald Novis, Gustav Mahler, Isham Jones, Leo Rapitis, Nick Cave, Sofia VempoAssistanat à la mise en scène et production Tina Papanikolaou
Assistanat à la mise en scène Stephanos Droussiotis
Direction technique Manolis VitsaxakisManager de tournée – relations internationales – photo – vidéo Julian Mommert
Production
2WORKS
Coproduction Torinodanza Festival Teatro Stabile di Torino Teatro Nazionale (Turin), Fondazione Teatri Festival Aperto (Reggio Emilia)
Coproduction de la tournée Megaron – The Athens Concert HallDurée: 50 minutes
TDV-Sarah Bernhardt – Grande Salle
du 13 au 15 mai 2024
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